Matroni et moi : Dialogue de sourds
Scène

Matroni et moi : Dialogue de sourds

Force est de constater que Matroni et moi n’a pas pris une ride. Alexis Martin recrée la pièce en toute simplicité, misant sur le jeu et les ressorts comiques.

Il s’agit de l’un des rares textes comiques de notre dramaturgie à proposer, avec une égale maîtrise, tous les éléments gagnants: des dialogues savoureux, une mécanique humoristique bien huilée, des personnages bien dosés et un propos intelligent (la composante qui manque le plus souvent à l’appel, ici indéniablement présente). Quinze ans après la modeste création de Matroni et moi par le Groupement forestier du théâtre et dix ans après l’adaptation cinématographique de Jean-Philippe Duval, rien de tout cela n’a perdu en efficacité.

On pourra certainement reprocher à Alexis Martin de nous présenter la pièce comme si c’était la première fois, sans chercher à recontextualiser ou à adopter une nouvelle perspective. Sa mise en scène est très fidèle à l’originale. Dommage, en effet, de s’en tenir à une lecture neutre de l’oeuvre, sans profiter de sa notoriété pour nous la présenter autrement et nous en faire voir une nouvelle facette. Reste que le texte est toujours aussi riche, que le choc des niveaux de langue est toujours aussi porteur de rires et de sens, que le discours sur l’éthique qui s’y construit est universel et toujours fort saisissant, même désamorcé par une bonne dose d’ironie. Il y a là un point de vue pertinent sur le Québec d’hier comme d’aujourd’hui, coincé dans sa langue, ses ambitions et son anti-intellectualisme comme dans son idéalisme de pacotille et ses désillusions.

Dans un décor réaliste mais épuré, avec son unique table et ses murs beiges, la folle nuit qui opposera le mafieux Matroni (Pierre Lebeau, égal à lui-même) au verbeux Gilles (François Létourneau, énergique et très typé) se déroule dans la plus grande tension. Tout passe par la langue: québécismes et accentuations loufoques chez Matroni et Bob (Gary Boudreault), diction pompeuse et emphatique chez Gilles et son père (Jacques L’Heureux), sans oublier quelques mimiques faciales et de subtils effets comiques avec les objets. Verres d’alcool et traînées de cocaïne occupent une place de choix dans le jeu de Lebeau, passé maître dans ce genre de mécanique. Émilie Bibeau reprend le rôle de Guylaine, jadis interprété par Guylaine Tremblay, avec naturel et désinvolture. Un bon moment de comédie.