Frédéric Dubois : La rumeur du monde
Scène

Frédéric Dubois : La rumeur du monde

Le Théâtre des Fonds de Tiroirs débarque enfin dans la métropole avec sa fameuse relecture du chef-d’oeuvre de Jean-Pierre Ronfard, Vie et mort du roi boiteux. On en discute avec le metteur en scène Frédéric Dubois.

À Québec, en 2004, puis en 2005, le spectacle avait fait un tabac. À l’époque, tous les amateurs de théâtre parlaient de cette aventure de huit heures que proposaient Frédéric Dubois et son Théâtre des Fonds de Tiroirs. Qui d’autre que cette audacieuse bande aurait pu s’attaquer, dans les règles de l’art, à l’oeuvre maîtresse de Jean-Pierre Ronfard, une saga littéralement disproportionnée. Soyons honnête, pour monter Vie et mort du roi boiteux, un cycle qui n’avait d’ailleurs jamais été reprogrammé professionnellement depuis sa création en 1981 et 1982, il fallait être un peu fou, ou à tout le moins insouciant.

À en croire Dubois, l’insouciance peut très bien être un guide, un moteur. "Il y a quelque chose d’événementiel dans cette pièce, quelque chose qui appelle la spontanéité, qui exige de ne pas faire les choses convenablement. C’est tout à fait dans l’esprit de la compagnie, mais je pense tout de même qu’on avait besoin de se le rappeler. On appartient à une génération très formée, très spécialisée. En plus, les programmations des théâtres sont maintenant bouclées trois ans à l’avance. Il n’y a plus d’espace pour la spontanéité. Si on a eu ce grand besoin de faire ce spectacle sur un coup de tête, c’est pour dire non, pour dire qu’on ne ferait jamais les choses comme tout le monde. En fait, c’était un défi, on l’a fait pour bousculer profondément nos manières de faire, pour casser la routine qui s’installait, même dans une compagnie comme les Fonds de Tiroirs."

Si l’esprit qui règne ici est un peu le même qu’à la création il y a plus de 25 ans, Dubois estime que sa démarche n’est en rien nostalgique. Chaque génération serait à même de projeter dans cette pièce-fleuve ses propres préoccupations. "C’est un tout autre monde, lance le metteur en scène à propos de ce qu’il a pu voir en vidéo de la production initiale. C’est une autre génération, une autre approche du théâtre. Cela dit, je sens qu’on est les enfants de ces gens-là, leurs héritiers. Mais le spectacle que vous allez voir, c’est celui de ma gang. Tout le monde est arrivé avec sa personnalité, ses propositions, c’est vraiment un truc d’équipe. Ensemble, on s’est approprié la pièce."

FAMILLES RIVALES

L’action se déroule dans le quartier de l’Arsenal, entre le boulevard Belle-Île et la rue Bourbonnais. Deux familles rivales s’affrontent: les Roberge et les Ragone. Cette vaste fable sur le pouvoir, une oeuvre en six parties qui puise à Shakespeare aussi bien qu’à la Bible et à la tragédie grecque, on en parle à juste titre comme d’un théâtre du monde. On y croise les personnages les plus colorés, habités par les sentiments les plus contradictoires. Cette partition, d’ailleurs publiée chez Leméac en deux tomes, Dubois jure qu’elle n’a pas pris une ride. Mieux encore, elle serait en avance sur son temps.

"Avec ce texte, Ronfard a ouvert la porte à toutes les histoires du monde, il a préfiguré l’époque de mondialisation et d’ouverture dans laquelle on se trouve actuellement, il a dit aux Québécois que leurs histoires valaient celles de tout le monde. Ce n’est pas parce que ça se passe dans une ruelle de Montréal que ça ne vaut pas Richard III ou Oedipe roi. On fait partie du monde. C’est clairement le début d’une autre époque dans le théâtre québécois. Pour moi, ça parle tellement d’aujourd’hui, de nous, de ce peuple intrinsèquement boiteux qu’on est toujours. On est quand même des enfants de la religion catholique, de deux référendums qui ont échoué… mais maintenant, on est obligé de vivre dans un monde ouvert, une société qui ne peut plus être repliée sur elle-même. C’est ce qu’on voit aussi dans les spectacles de Wajdi Mouawad et de Robert Lepage, mais Ronfard l’avait fait, déjà, au début des années 80."

En effet, après une multitude de spectacles solo ou à distribution restreinte, on sent actuellement comme un retour de la fresque, des grands récits, des oeuvres longues et endossées par un grand nombre de comédiens. "Ce n’est pas vrai qu’on va continuer à faire du théâtre avec trois acteurs parce qu’on n’a pas d’argent, lance Dubois. C’est essentiel qu’il continue d’y avoir des spectacles avec 14 acteurs, qui plus est dans la rue." Terminons donc en les nommant, justement, ceux et celles qui vont défendre, dans et autour d’Espace Libre, une galerie de personnages plus grands que nature: Stéphan Allard, Sylvio-Manuel Arriola, Christine Beaulieu, Frédérick Bouffard, Patrice Dubois, Hugues Frenette, Jonathan Gagnon, Monelle Guertin, Catherine Larochelle, Michel-Maxime Legault, Nadine Meloche, Anne-Marie Olivier, Tova Roy et Ansie Saint-Martin.