Caligula (remix) : Crise existentielle
Scène

Caligula (remix) : Crise existentielle

Avec Caligula (remix), Marc Beaupré offre une relecture rigoureuse, éclairée et ludique de la pièce de Camus.

Ce n’est pas tous les jours qu’on assiste à la relecture d’un texte fondamental de la dramaturgie mondiale en ayant le sentiment que le metteur en scène a fait ses devoirs. Il y avait longtemps que Marc Beaupré, directeur de la compagnie Terre des Hommes, voulait monter Caligula, et ça se sent. Son spectacle, tout en relief, transpire l’intelligence, ne peut découler que d’une authentique recherche formelle et historique.

Pour faire écho à la pièce d’Albert Camus, publiée en 1944, Beaupré a choisi de puiser chez les anciens, Platon, Suétone, Ovide, Virgile et Lucrèce, mais aussi chez ses contemporains, le Français Pascal Quignard et l’États-Unien Will Durant. Ces ajouts, jamais gratuits, font apparaître les enjeux intimes et collectifs d’un texte qui concerne aussi bien le règne d’un empereur romain tyrannique et mégalomane que les abominations de notre époque. Mais la lucidité du metteur en scène ne s’arrête pas là. Ses choix formels, nombreux, radicaux, ne sont jamais strictement formels. Ici, la représentation travaille l’oeuvre tout autant qu’elle est travaillée par elle.

Deux femmes et six hommes sont rassemblés autour d’une table parcourue de fils. Omnipotent, Caligula orchestre leurs interventions. Tel un coryphée, le président d’une assemblée, d’un concile ou d’un conseil, il dirige avec vigueur et précision, attribue les tours de parole à Cherea, son précepteur, Scipion, son ami, Caesonia, sa maîtresse, Drusilla, sa soeur, Helicon, l’esclave affranchi, mais aussi aux patriciens et au choeur que forment toutes ces individualités. Parce qu’il comprend, au plus profond de lui-même, que les hommes meurent et ne sont pas heureux, l’empereur va tout broyer sur son passage.

La représentation est faite de chants, de récitatifs et d’envolées chorales, mais aussi, grâce à l’utilisation de micros, de voix échantillonnées, reprises en boucle, transformées et superposées. Un théâtre pour l’oreille, certes, mais jamais désincarné parce que le procédé, jamais lassant, jamais redondant ni jamais gadget, est sans cesse renouvelé.

Il y a bien des personnages, des antagonismes, des désirs, mais il y a surtout des corps et des voix pour les incarner sans s’embarrasser du réalisme. Ce sont des artistes-citoyens qui racontent, soulignent, insistent, se souviennent de celui qu’on appelait Caligula. À la fois empathiques et distanciés, ils nous entraînent du sublime au grotesque, de l’amour pur à l’exécution crapuleuse, du charnel à l’existentiel. À leur tête, Emmanuel Schwartz s’empare du rôle-titre avec toute la conviction qu’on lui connaît. Son Caius est fragile et cruel, enfant et rock star, philosophe et possédé.

En somme, le deuxième spectacle de Marc Beaupré est ingénieux et contrasté, en plus d’être traversé de questions existentielles, spirituelles et citoyennes. Il faut non seulement voir et entendre ce Caligula (remix), mais garder son créateur à l’oeil.