Les Bonnes : Jeux de rôles
Scène

Les Bonnes : Jeux de rôles

Avec les jeunes actrices de la compagnie Gros Bison et autres propensions, Gaétan Paré donne une mise en scène sobre et viscérale des Bonnes de Genet.

Qui sont Claire et Solange, ces domestiques qui endossent le soir venu les robes de leur maîtresse pour se livrer à de cruels jeux de pouvoir? Qui sont ces soeurs à la sexualité ambiguë, dont les mascarades se terminent toujours en assassinat raté? Qui se cache derrière cette Madame et ses pompeux costumes?

Si le jeu de rôle est au centre de la pièce de Jean Genet, le metteur en scène Gaétan Paré l’a pris au mot en centrant son travail sur la direction d’acteur et en accentuant les personnalités empruntées des bonnes. Pas de tonalité politique dans cette mise en scène, pas de transposition conceptuelle, pas de grande mise en relief de la condition d’asservissement des domestiques, pas d’insistance sur la sensuelle étrangeté de la relation entre les deux soeurs, mais une constante tension entre les différents rôles que les bonnes s’attribuent et s’échangent en inversant les rapports de force.

Ce qui est en jeu, ici, c’est la multiplication des identités et des attitudes. Mais rien n’est trop souligné: si le jeu des comédiennes Émilie Cardin et Jacinthe Parenteau est très ample et parfois trop technique, elles parviennent à masquer les ruptures entre leurs différentes personas, sans toutefois les laisser disparaître. Quand Madame (Julie de Lafrenière) débarque sur scène, un autre phénomène se donne à voir: l’ego est artificiellement gonflé, mais cache une personnalité fragile et difficile à distinguer tellement elle est ensevelie. En émerge une réflexion sur l’identité, sur les jeux de figuration que l’on s’impose pour survivre aux exigences du monde social: un propos très vaste que n’aurait pas renié un sociologue comme Goffman ou un psychanalyste comme Jung. De la sorte, Paré rejoint partiellement le propos du Moche, de Marius Von Mayenburg, qu’il a mis en scène plus tôt cette année, tout en explorant de nouvelles eaux.

Tout cela embrasse toutefois large et contribue à faire de cette production des Bonnes un spectacle prudent, sobre et peu personnel. On sent chez Paré un grand respect du texte, une volonté de faire entendre les mots mais aussi et surtout leur grande charge émotive et intellectuelle. Il y a aussi là un grand respect des possibilités des actrices, qui s’imposent parfois en vain une trop grande intensité.