Gill Champagne et Michel Tremblay : Depuis le temps
Scène

Gill Champagne et Michel Tremblay : Depuis le temps

Pour les 40 ans d’À toi, pour toujours, ta Marie-Lou, le TNM a invité le metteur en scène Gill Champagne à se réapproprier la pièce, 11 ans après l’avoir montée une première fois dans une proposition remarquée.

Il y a 40 ans presque jour pour jour était créée, le 29 avril 1971 sur la scène du Théâtre de Quat’Sous, À toi, pour toujours, ta Marie-Lou, une des pièces majeures de Michel Tremblay, reçue comme une véritable secousse par sa charge sociale autant que par sa forme. Elle met en scène Carmen et Manon qui se revoient pour la première fois dix ans après l’accident suspect dans lequel sont morts leurs parents et leur petit frère. Tandis que Marie-Louise et Léopold rejouent la dure scène du matin fatidique, les deux soeurs s’affrontent sur le sens du passé et de la vie.

Ce "quatuor à cordes vocales", comme l’auteur la qualifiait à l’époque, est sa toute première pièce à être construite avec des conversations intercalées et une double temporalité. À sa suite, les Bonjour, là, bonjour, Albertine, en cinq temps et Fragments de mensonges inutiles, entre autres, adopteront cette structure.

Deux fois plutôt qu’une

Gill Champagne, directeur artistique du Théâtre du Trident de Québec, a actualisé la pièce en brisant quelques conventions, notamment celle qui veut que les quatre personnages soient immobiles. "Le lieu obligeait une nouvelle approche, l’énergie des nouveaux comédiens aussi. Et moi aussi, je suis rendu ailleurs", explique le metteur en scène, qui dit être resté très respectueux du texte, de sa musique. Ce qui ne l’empêche pas de l’avoir réinterrogé.

Les personnages se déplacent donc, sans se toucher ni se regarder, dans l’espace conçu par le scénographe Jean Hazel: une scène remplie d’eau, comme il y a 11 ans. "On ne sait pas si c’est en train de s’enfoncer dans l’eau ou de ressurgir de l’eau. Ça permet à Léopold et à Marie-Louise d’errer dans un autre espace, un autre temps. J’aime travailler avec la matière vivante. J’aime travailler avec les corps, avec les voix."

Le drame familial, défendu par Denis Bernard, Marie Michaud, Dominique Quesnel et Éveline Gélinas, a encore aujourd’hui une grande résonance, croit Gill Champagne. "C’est une pièce sur les femmes, sur la solitude, sur l’isolement, l’impuissance aussi… Il y a aussi l’homme, et de la façon dont je la monte, personne n’a tort ni raison. C’est un éternel combat entre des personnes. C’est toute la problématique de l’ignorance, et de la pauvreté en ville."

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Michel Tremblay se souvient

Inspiré par la disposition d’un quatuor à cordes qui jouait Brahms à New York, Michel Tremblay trouve enfin une forme théâtrale qui convient à sa dernière pièce. Le soir de la première, dans le théâtre de l’avenue des Pins alors dirigé par Paul Buissonneau, toute l’équipe est fébrile. "On était inquiets, raconte le dramaturge, les acteurs autant qu’André Brassard. On n’avait jamais vu quelque chose construit de cette façon-là. Sans douter de l’intelligence du monde, on se demandait: "Est-ce qu’ils vont vouloir suivre cette double conversation avec des retours en arrière, est-ce qu’ils vont vouloir rester assis pendant une heure et quart devant des gens qui fixent devant eux et qui se disent des horreurs?"" Pari gagné: le public comme la critique ont suivi. Depuis, À toi, pour toujours, ta Marie-Lou est montée ponctuellement, au Québec comme à l’étranger.