Serge Denoncourt : Toutes les femmes en une
Scène

Serge Denoncourt : Toutes les femmes en une

Projet théâtral pour le moins original, Ana est né d’une collaboration entre Imago Théâtre (Québec) et la Stellar Quines Theatre Company (Écosse). Serge Denoncourt dirige ce portrait de femme aux cent visages.

Après Grubb – The Musical, créé avec de jeunes Roms de Belgrade, Denoncourt s’investit dans un nouveau dialogue de cultures avec une pièce bilingue coécrite par Clare Duffy et Pierre Yves Lemieux qui se sont penchés sur le mythe sumérien de la déesse Inanna. "Ce qui m’intéressait dans ce projet, c’était de me retrouver avec une équipe mixte qui ne parle pas la même langue et un texte fait de plusieurs points de vue", explique le metteur en scène qui a participé au processus d’écriture de l’oeuvre collective. Créée à la manière des cadavres exquis où chacun reprend le cours du récit laissé par l’autre, une démarche qui exige beaucoup d’humilité et multiplie les regards, Ana, dans son approche, se prêtait bien au sujet de la femme dédoublée. "Ce mythe peut être lu comme le premier cas de personnalité multiple dans la littérature, un des premiers écrits sur la dépression féminine. Les auteurs se sont inspirés d’Inanna pour créer Ana, incarnée sur Terre, qui donne naissance à un enfant, se dédouble et tue cet enfant. À partir d’elle, on fait le portrait de plusieurs femmes dans l’histoire qui ont gardé un souvenir atavique de l’infanticide, l’ultime tabou, de la Révolution française à la découverte de la psychanalyse, en passant par le Québec d’aujourd’hui."

Par-delà le bien et le mal

L’idée de la malédiction peut sembler proche du péché originel, mais contrairement à l’Ève du mythe judéo-chrétien, Ana n’est pas dans la culpabilité. "Les femmes de la pièce se trouvent en face d’un choix moral qu’elles vont transgresser ou pas. On croise Thérèse d’Avila, Médée, Jeanne d’Arc qui entend des voix, mais toutes les Ana de la pièce (une vingtaine) entendent les voix des anciennes Ana répétées comme des mantras transmis d’une génération à l’autre." Pas question de faire une étude sur la dépression qui expliquerait l’infanticide. Les auteurs se sont plutôt intéressés au legs que chaque femme reçoit et donne à travers les âges et à l’évolution de son rapport à la souffrance, à sa vie amoureuse et sexuelle. "On réécrit l’histoire en s’amusant avec la morale, la psychanalyse et les lois temporelles", poursuit Denoncourt. "La mère d’Ana d’il y a 1300 ans réapparaît dans la bouche d’Ana l’itinérante de la Place Dupuis en 2011. C’est un objet étrange, un portrait fragmentaire et fragmenté construit par flashs."

Ana est aussi une des rares productions théâtrales bilingues jouées par une distribution québécoise et écossaise. "C’est la rencontre de deux grandes cultures d’acteurs", une "machine à voyager dans le temps", les langues et les cultures, qui rend hommage à tous ces autres qui vivent en nous.