Die Reise ou les visages variables de Felix Mirbt : Pédalier de la mémoire
Scène

Die Reise ou les visages variables de Felix Mirbt : Pédalier de la mémoire

Véritable coffre aux trésors que le spectacle Die Reise ou les visages variables de Felix Mirbt. Le plaisir des comédiens qui redonnent vie aux marionnettes de Mirbt est contagieux.

Le théâtre Aux Écuries est métamorphosé ces jours-ci en atelier d’artiste peuplé de tables de travail et de marionnettes en attente de leur entrée en scène. C’est avec un humour irrévérencieux que les codirecteurs du Théâtre de la Pire Espèce (Francis Monty, Olivier Ducas) et Marcelle Hudon lèvent leur chapeau à leur mentor en braquant les projecteurs sur sa vie et son oeuvre. Ce spectacle, inspiré du journal de Mirbt (1931-2002) et de sa traversée en bicyclette de l’Allemagne en 1945 avec son père, propose un amalgame ludique des réflexions de ce dernier sur la création et sur son passé.

Le pari risqué mais réussi de ce spectacle est de donner à voir les mécanismes de création de ce démiurge qui cherchait à démêler les fils en dissociant l’acteur de la marionnette. Mirbt a pris le contrepied des conventions théâtrales de "l’illusion du vrai" et de l’identification en ne cherchant pas à susciter des émotions par le biais de ses créatures. En accord avec les principes de leur maître à penser et à manipuler, les concepteurs-marionnettistes ont choisi de créer des aires et des niveaux de jeu parallèles (trois micros répartis sur la scène, un écran pour les projections et les jeux d’ombre). Ce dispositif efficace permet les jeux de dédoublement et de superposition des voix enregistrées et de celles des acteurs, des images et ombres créées sur scène avec celles d’une projection et du son (bruitage, chant, musique).

Les acteurs, les musiciens et la régisseuse s’amusent sur scène comme des enfants avec leurs gadgets tout en les manipulant avec sérieux et doigté. Le fil narratif toutefois ténu est constamment rompu par les apparitions trop brèves des visages, formes abstraites et pantins qui font trois petits tours et puis s’en vont sans avoir le temps de vivre par eux-mêmes. Ces personnages originaux, constitués parfois uniquement d’une paire de jambes montées sur des talons hauts ou d’un visage minimaliste ou abstrait, attendent pourtant sagement dans les boîtes de rangement ou sur des supports leur moment de gloire. Certains personnages renouent avec les feux de la rampe, dont l’irrévérencieuse Judy (interprétée avec aplomb par Marcelle Hudon) et le policier, mais d’autres, comme Woyzeck et des figures angoissantes, restent tapis dans l’ombre de l’inconscient de Mirbt, gardés jalousement par ces grands enfants. On ressort néanmoins de ce spectacle, comme le souhaitait Mirbt, habité par certaines images incandescentes et par le bruit de l’engrenage du pédalier de la mémoire.