Loin : À distance
Scène

Loin : À distance

En 2010, Thomas Gionet-Lavigne nous offrait Route, un solo inspiré de Jack Kerouac. Avec Loin, il brode cette fois autour d’Hitchcock, Müller et Lynch. Audace à la puissance trois.

Après la présentation de Route (prix du meilleur spectacle de la relève Première Ovation 2010), le dramaturge et acteur Thomas Gionet-Lavigne cherchait une nouvelle façon de se mettre en danger. À en juger par le programme qu’il nous propose avec Loin, soit trois courtes pièces pour quelque quatre heures de représentation, on dirait bien qu’il l’a trouvée.

"J’avais le goût d’écrire une trilogie, raconte-t-il. Je me suis assis avec des acteurs, des concepteurs, et on s’est demandé comment on pourrait monter un spectacle-fleuve à la manière de Wajdi Mouawad, Robert Lepage ou s’apparentant aux films de Claude Lelouch; une histoire qui s’étendrait sur un siècle."

Graduellement, un artiste mythique s’est imposé comme source d’inspiration: Alfred Hitchcock. Le célèbre cinéaste fait en effet l’objet de la première pièce, tout en hantant les deux suivantes. "J’aime beaucoup quand on utilise une figure marquante pour établir un parallèle avec soi au théâtre", confie l’auteur, qui avait fait de même pour Jack Kerouac dans Route.

Le segment mettant en scène le maître du suspense relate librement son adolescence, puis son passage à l’âge adulte; sa solitude, son premier amour, ses débuts professionnels. Il y est aussi question de notes, prises en vue d’un projet intitulé Loin… Dans la deuxième pièce, on découvre Matthias, un monteur obsédé par ces notes. Tandis que la troisième s’intéresse à David, un réalisateur désireux de s’en servir pour tourner un film.

Ces personnages ont aussi été influencés par des cinéastes réels, soit David Lynch et Matthias Müller, un artiste moins connu, mais intéressant. "Il a fait des films expérimentaux complètement déjantés."

Si loin, si proche

Comme dans Route, Thomas Gionet-Lavigne, qui cosigne cette fois son texte avec le metteur en scène Hugo Lamarre, navigue entre réalité et imaginaire. Quand on lui demande de départir le vrai du faux, il répond: "C’est de la fiction, sauf que mes trois personnages sont des gens qui ont existé."

Les fameuses notes d’Hitchcock ne sont pas non plus sans rappeler l’oeuvre inédite autour de laquelle gravitait sa dernière pièce. L’auteur précise toutefois qu’il s’agit ici d’un MacGuffin, expression utilisée par le réalisateur anglo-américain pour désigner un objet servant de prétexte au développement du récit.

N’empêche, le titre du mystérieux projet, Loin, n’en demeure pas moins le mot qui a alimenté toute la création. "Je suis parti d’un casting pour lequel j’avais envie d’écrire et d’un titre, indique-t-il. J’ai voulu explorer comment on peut être loin de soi-même, des autres, d’une personne en particulier, loin en distance, en émotion, etc. Je trouvais ce mot passionnant."

"Dans la première partie, Alfred est loin des autres, il est un jeune exclu, poursuit-il. Dans la deuxième, Matthias, un obsessif-compulsif, est loin de lui-même. Et dans la troisième, David, qui a perdu sa femme, est loin de quelqu’un à cause d’un deuil."

À la manière de…

Ces intrigues se succèdent sur fond de suspense, alors que la pièce emprunte non seulement à la vie, mais aussi à l’univers d’Hitchcock. "Pour lui, il y a suspense quand le spectateur en sait plus qu’un des personnages. C’est ce qui est haletant", observe Thomas Gionet-Lavigne. Un principe sur lequel le spectacle mise abondamment.

"J’ai essayé d’écrire un peu comme dans les films d’Hitchcock, c’est-à-dire avec beaucoup d’humour, des phrases à double sens, etc." De même, le jeu des comédiens s’inspire de celui des acteurs du célèbre cinéaste, tandis que la mise en scène cherche à créer un effet cinémascope.

"Loin est un spectacle dépouillé, cinématographique mais sans projections; un théâtre d’acteurs et d’objets. En même temps, il s’agit d’un show de création, pas d’un pastiche d’Hitchcock", prévient-il.

À noter que, parallèlement à la pièce, le Cinéma Cartier présentera une programmation de films d’Hitchcock, du 20 au 26 janvier.