David-Alexandre Després : Fanatique de Kubrick
Scène

David-Alexandre Després : Fanatique de Kubrick

Délire cauchemardesque ou farce fantasmatique? La mort de Kubrick apparaît comme un inclassable voyage dans la psychologie d’un obsédé du cinéaste américain, inspiré par l’auteur David-Alexandre Després, lui-même obnubilé par le maître du 7e art.

De l’atmosphère glauque et angoissante des couloirs d’un hôtel habité par un écrivain fou à celle d’une ville sous le joug d’une bande de voyous ultraviolents, la pièce de Després reproduit l’univers kubrickien, inquiétant et malsain, sur lequel planent les fantômes de Shining et d’Orange mécanique. "On s’inspire de l’univers et du feeling que donne un film de Kubrick. Le mot d’ordre était de créer une crise d’angoisse, celle du personnage d’Alex Conway, obsédé par Kubrick, qui ne vit que par lui, et de la transmettre au spectateur. On entre dans sa tête et on vit son cauchemar."

Fictif, comme tous les personnages de la pièce, ce solitaire à la sexualité refoulée gagne un concours lui permettant d’assister à la première d’Eyes Wide Shut et de rencontrer son idole. Si Després voue un culte au cinéaste américain à l’instar de son héros, là s’arrête la comparaison. "Je voulais parler de Kubrick, de mon amour pour son oeuvre, mais soulever aussi le fait qu’aujourd’hui, beaucoup de gens vivent par procuration, ne jurant que par leurs idoles, et en viennent à perdre leur propre personnalité. Quand le réalisateur fétiche d’Alex meurt, il n’y a plus de films pour l’aider à survivre et ça va être catastrophique."

Sous l’histoire abracadabrante de ce désaxé menacé de se faire voler son identité par une étrangère, chassé par une propriétaire transsexuelle et qui croise la gardienne de ses 8 ans transformée en Kubrick, se dessine une réflexion sur la dépossession identitaire dans un monde d’idolâtrie, et sur les déviances sociales et sexuelles, des thèmes chers au cinéaste. "On suggère que c’est peut-être une bonne chose pour la société qu’Alex se soit perdu dans son culte à Kubrick, mais c’est triste aussi, parce qu’il n’est plus lui-même." Le personnage s’inspire du héros d’Orange mécanique qui subit la fameuse thérapie pour conditionner sa violence et des façons dont la société récupère la marginalité. "L’homme violent, emprisonné, qui devient un petit agneau, malade à la vue de la violence, est-il encore un homme ou un pur produit de la société telle qu’on la veut? L’homme qui cesse d’être libre est-il encore un homme? Sommes-nous à ce point incapables de vivre avec la violence des hommes?" s’interroge Després.

Après une première pièce nourrie de sa passion pour la formule 1 et Beethoven (Vroom), l’auteur et comédien s’est tourné vers un autre de ses dadas, le cinéma de Kubrick, et a invité son ami Olivier Morin à signer sa première mise en scène. Produite par Champ gauche (dirigé par Christine Beaulieu), qui avait présenté Texas en 2007, cette création ose une aventure insolite. "Ça va être une bibitte, c’est sûr!" lance Després, réjoui d’amener le théâtre ailleurs.