Jean Marc Dalpé : Tragédie paranoïaque
Scène

Jean Marc Dalpé : Tragédie paranoïaque

Traduite et interprétée par Jean Marc Dalpé, la pièce II (deux), du dramaturge ontarien Mansel Robinson, aborde les dérives de la paranoïa collective jusque dans le lit conjugal.

Mansel Robinson et Jean Marc Dalpé ne partagent pas seulement leurs origines ontariennes. Les deux auteurs dramatiques sont aussi des poètes du Nord et de la classe ouvrière à qui ils donnent une voix au théâtre. Après Trains fantômes et Slague, Dalpé a traduit une troisième pièce de Robinson qui s’écarte cette fois du monde ouvrier et de la région pour s’attaquer à la problématique plus urbaine du climat de suspicion instauré par les attentats terroristes du 11 septembre et certains délires paranoïaques qui ont suivi. Un policier blanc, joué par Dalpé, et sa femme musulmane, défendue par Elkahna Talbi, livrent chacun leur récit à la suite du geste fatal du mari qui soupçonna son épouse d’avoir eu des liens avec le terrorisme. On apprend assez tôt dans la pièce que le mari a tué sa femme. « Les deux récits sont racontés en parallèle, avec des glissements vers des flashbacks, des scènes avant le meurtre, explique Dalpé. Le mari parle à deux policiers lors d’un interrogatoire et sa femme se trouve quelques heures avant de se faire tuer. Ce qui est très habile dans l’écriture de Mansel, c’est qu’on croit savoir où ça va, mais ça dévie. La femme a aussi un secret et ce n’est pas celui que le mari pensait. Il a mal interprété et ça a alimenté la paranoïa. »

Construite comme un suspense, II (deux) traite de l’état du monde actuel, terrorisé par des événements violents, mais surtout du dérapage phobique commis par les médias, les policiers et le pouvoir. « La pièce tourne autour de l’islamophobie et de la paranoïa sécuritaire qu’on connaît actuellement, surtout au Amérique du Nord, poursuit Dalpé. Aussitôt que les gens ont un nom différent, surtout s’ils viennent de cette partie du monde associée à l’islam, ça tord les relations entre les gens et ça s’insinue jusque dans l’intimité. Mansel met un microscope sur cette situation et montre comment ça peut déraper chez vous, dans vos quartiers. »

Sobre, à l’image du texte, la mise en scène met l’accent sur la division du couple. La scène découpée en deux par une ligne imaginaire sépare les personnages, deux solitudes qui ne se rejoignent plus, qui ont été arrachées l’une à l’autre. Ils tiennent tous deux un discours a priori défendable, qui se transforme à mesure que l’histoire progresse. « La force du texte est de jouer subtilement sur nos propres préjugés. On hait le gars puis la femme. Il n’est pas juste un trou de cul et elle n’est pas la parfaite victime. Ce n’est ni noir ni blanc. »

« De nos jours, tout le monde est une sorte de policier« , peut-on lire dans le communiqué de presse. Après le printemps érable et la loi 78, alors que le gouvernement invitait la population à devenir des délateurs, on peut dire que le sujet est d’actualité. « Avec une pièce comme celle-là, il va toujours y avoir des échos, croit Dalpé. On n’a qu’à penser à ce qu’a dit le maire de Saguenay à propos de Djemila Benhabib. C’est dans l’air du temps. On donne effectivement beaucoup de pouvoir aux policiers et aux agents de sécurité. Il y a une hantise de la violence, parce qu’on a peur, mais en donnant tout le pouvoir aux policiers, on se dépouille de nos droits. » Bien que la réflexion de Dalpé dépasse le texte de Robinson, l’acteur est persuadé que l’auteur serait d’accord avec lui. « On s’entend bien entre vieux gauchistes! » conclut-il.

 Le 20 novembre à 20h
Au Centre culturel de l’Université de Sherbrooke