Le mécanicien : Montrez cette violence que je ne saurais voir
Scène

Le mécanicien : Montrez cette violence que je ne saurais voir

Objet étrange et dérangeant, Le mécanicien de Guillaume Corbeil nous fait sourciller puis grincer des dents. Du théâtre psychologique imparfait, mais intéressant.

Guillaume Corbeil, auteur (L’art de la fugue, Pleurer comme au cinéma) et biographe d’André Brassard, s’intéresse aux angoisses contemporaines. Sa pièce Le mécanicien dissèque une autre de nos névroses, celle de notre fascination pour le spectacle de la violence, qui sert de paravent à notre incapacité à regarder la réalité en face.

Un couple ordinaire rentre dans son appartement extrêmement nerveux, tendu, dissimulant mal son malaise. Lui cherche à la distraire; elle cherche à le confronter au fait. Ils finissent par revenir sur l’événement traumatique qu’ils viennent de vivre: ils ont vu leur mécanicien tuer un pauvre écureuil albinos. Cette démonstration d’agressivité les ébranle, les fragilise et fait jaillir leurs fantasmes sadiques. Pour canaliser leur peur, ils se réfugient dans l’imaginaire, inventant au bourreau une vie de tortionnaire, basculant dans des jeux pervers dignes des pires films d’horreur, avec scènes de torture, gros plans du visage terrorisé de la blonde transformée en victime sur lequel son amoureux pose une arme blanche, prêt à lui défoncer l’oeil. Faute de pouvoir parler de la violence véritable, ils la tournent en spectacle.

Belle incursion du théâtre dans le genre de l’horreur, la pièce de Corbeil est finement construite, mais tarde à démarrer. Les dialogues du début, d’une insignifiance abrutissante, lassent vite et le jeu des comédiens (Pierre-Luc Léveillé et Anne-Hélène Prévost) paraît d’abord fragile et un peu trop appuyé. Heureusement, le basculement des personnages vers un sadisme spectaculaire réussit mieux aux acteurs et à la sobre mise en scène de Francis Richard, qui transforme l’appartement en plateau de film d’épouvante, avec éclairage dramatique et vidéo projetée sur grand écran à la limite du supportable (rappelant celle de Magnotta). Le climat de tension évoque l’atmosphère viciée et glauque des suspenses psychologiques à la Polanski ou à la Pinter, auteur que la compagnie Aquilon Théâtre a monté précédemment. Corbeil pointe du doigt le penchant malsain de notre époque pour le voyeurisme et la mise à distance des émotions douloureuses par leur médiatisation, mais laisse aussi place au doute. La finale abrupte nous abandonne, suspendus à l’horreur sans explication. Elle peut laisser sur sa soif, mais c’est peut-être le but, montrant l’absurde décalage entre la violence réelle et la fascination morbide de notre société qui regarde sans comprendre des tragédies dénaturées sur YouTube.

Jusqu’au 29 septembre
À la salle Jean-Claude-Germain du Théâtre d’Aujourd’hui