Noémie Godin-Vigneau / Les femmes savantes : Les précieuses de Grignan
Scène

Noémie Godin-Vigneau / Les femmes savantes : Les précieuses de Grignan

Le combat des sexes, le désir d’émancipation, l’imposture intellectuelle… Le 17e siècle se superpose aux années 50 dans Les femmes savantes, le Molière monté par Denis Marleau cet été au château de Grignan dans la Drôme provençale. La comédienne Noémie Godin-Vigneau raconte.

« Avant les représentations, on mange avec l’équipe dans la cour intérieure du château. Partout, des champs de vignes. Les martinets volent en escadron au-dessus de nos têtes. Le chat du château vient voler le focus lors de certaines représentations, ce qui lui vaut un changement de réplique dans la pièce. Nous sommes envoûtés. » Un été d’exception où, à la manière d’une troupe moliéresque, 12 comédiens ont joué devant une esplanade de 800 personnes remplie au maximum de sa capacité pendant 40 soirs.

La façade de style Renaissance du château fait office de lieu de plaisance à une famille bourgeoise dans laquelle les femmes sont déchirées entre leur désir de liberté, leurs pulsions amoureuses et maternelles. Dans son avant-dernière pièce Les femmes savantes (1672), Molière se moque affectueusement des excès de préciosité de la femme, tout comme de la lâcheté et des velléités de l’homme.

« À travers mon personnage d’Armande qui renonce à l’amour pour s’émanciper, je ressens la fougue des femmes, à travers les époques jusqu’à aujourd’hui, à vouloir être libres-penseuses, autonomes, affranchies de l’emprise de l’homme », observe la comédienne qui a aussi été portée, tout comme ses consoeurs de la distribution (dont Christiane Pasquier et Sylvie Léonard), par l’aura de Madame de Sévigné, une contemporaine de Molière, qui vécut ses dernières années dans le château de Grignan. « Nous étions habitées par cette histoire si concrète. Madame de Sévigné, femme savante, indépendante de fortune, a vu et commenté la pièce dans ses lettres. Son esprit trouve quelques échos dans le personnage de la tante Bélise (Sylvie Léonard), une dévoreuse de romans qui croit que tous les hommes sont à ses pieds. »

Avec la rigueur qu’on lui connaît, Denis Marleau signe ici son premier Molière. Par le biais des costumes (Ginette Noiseux), des coiffures (Angelo Barsetti), mais aussi de cette Vespa sur laquelle arrive Trissotin (Carl Béchard), le metteur en scène ose une transposition de la comédie de moeurs dans les années 50. « Ça nous rapproche de l’histoire qui nous est racontée et nous renvoie à une autre époque bouillonnante: celle de l’après-guerre, de la contraception féminine, de l’éclatement du carcan de la femme au foyer, sans droits », observe la comédienne qui s’est déjà fait diriger par Denis Marleau pour animer l’un des « visages » de l’exposition Jean Paul Gaultier.

Pour les membres de la troupe des Femmes savantes, cet été provençal ne marque pas la fin du périple. Avant de partir en tournée au Québec, la production se transporte d’abord au TNM dans un décor inspiré de la terrasse du château de Grignan. « On apporte un peu du château avec nous. L’âme et l’esprit de cette expérience hors du commun vont certainement continuer de vivre », conclut Noémie Godin-Vigneau.