Robin et Marion : Ondoyante jeunesse
Scène

Robin et Marion : Ondoyante jeunesse

Anti-conte d’amour courtois, Robin et Marion est une pièce drôle et philosophique qui, sous ses airs légers, scrute et décortique l’humanité bestiale et capricieuse comme un amour de  jeunesse.

Cruels avant d’être amoureux, les personnages d’Étienne Lepage portent l’inconstance et la fulgurance de leur jeune âge, mais au lieu des enfants innocents aveuglés par un amour indéfectible des contes traditionnels, on trouve des êtres lucides qui découvrent, dans l’urgence du désir, le désordre des relations amoureuses, rompus au malheur dès leur entrée en scène. Marion a décidé qu’elle aimait Robin. Alice aussi. Robin, lui, n’aime pas, mais dira "je t’aime" pour que la fille se déshabille. Spontanément, sans arrière-pensée ni censure, les quatre jeunes fermiers étourdis par les élans contradictoires de leur chair sont en apparence frivoles, mais leur verbe mordant est déjà contaminé par le venin amoureux, une force destructrice et trompeuse qu’ils traquent sans jamais la saisir. Ondoyants comme les blés qu’ils ont fauchés tout le jour, ils font mentir les lois de l’amour éternel, effeuillant leurs illusions au fil des rencontres, se livrant une guerre à coups de mensonges et de pièges aussitôt révélés.

Rappelant le vaudeville dans ses chassés-croisés et ses répétitions aux effets comiques, Robin et Marion a pourtant un fond plus grave et une profondeur déployée en textures et en subtilités créées par la solide mise en scène de Catherine Vidal qui a su incarner dans un univers de conte inquiétant ces êtres nerveux qui échappent à leur propre maîtrise et éclatent comme des fruits mûrs. Lepage oppose aux séculaires discours de l’amour courtois une vision matérialiste où les corps bouleversent les trajectoires de la pensée, révélant le poids de l’animalité qui agit sur l’homme. Dirigés avec aplomb, les quatre comédiens donnent, à travers leur impudeur mêlée de peur, leur sensualité bestiale et maladroite et leur naïveté où pointent des crocs, un portrait ambigu de l’homme qui s’invente des vérités au hasard de la vie, faible créature d’un point de vue déterministe, puissante parce que mobile et imprévisible comme la Nature. Renaud Lacelle-Bourdon rend particulièrement justice à l’insaisissable vérité de ces êtres sans malice dominés par leurs pulsions et pourtant accrochés à des discours et des idéaux qu’on dirait plantés dans leur tête sans leur consentement, qui se brisent dès qu’ils touchent terre. Les magnifiques éclairages d’Alexandre Pilon-Guay modulent la forêt qui habite la scène en atmosphères aussi changeantes que ces êtres mouvants, où le jour se confond à la nuit à l’instar des amoureux qu’au final plus rien ne distingue, corps interchangeables dans un monde où le jour court sans fin après la nuit, éteignant le désir aussi vite qu’il l’allume.

Jusqu’au 13 octobre
Au Théâtre d’Aujourd’hui