Gaétan Paré / Hamlet est mort. Gravité zéro : Être et ne pas être
Scène

Gaétan Paré / Hamlet est mort. Gravité zéro : Être et ne pas être

Le metteur en scène Gaétan Paré s’attaque à un objet théâtral inclassable, qui pose autrement la célèbre question qui hantait le prince de Danemark. Entretien autour de Hamlet est mort. Gravité zéro, de l’Autrichien Ewald Palmetshofer.

Pendant que Gaétan Paré nous parle, à quelques heures de la première, du singulier parcours ayant mené à la présentation de Hamlet est mort. Gravité zéro, on se dit intérieurement: voilà précisément ce que promettait le Théâtre Aux Écuries, inauguré en octobre 2011. Une fréquentation, dans un cadre propice, de ce que la dramaturgie actuelle a de plus audacieux, de plus saisissant. On voit peu d’endroits en ville, en effet, où pouvait être montée la quatrième pièce d’Ewald Palmetshofer, originaire de Linz, en Haute-Autriche, qui soumet à un électrochoc les codes traditionnels de la représentation théâtrale.

« Laurent Muhleisen, celui qui a traduit le texte de l’allemand vers le français, est un ami, explique Gaétan Paré. Un jour, il m’a fait lire la pièce. Il se trouve que j’ai été incapable de la terminer! » admet-il. Il ne s’en est pas détourné pour autant. « Quelques mois plus tard, Laurent est passé par Montréal, alors je lui en ai parlé. Je lui ai dit être captivé, mais incapable de me rendre au bout. J’avais besoin d’une clé, qu’il m’a donnée. Il m’a expliqué l’anecdote au coeur de la pièce, m’a expliqué un peu sa mécanique, et tout a débloqué. Je l’ai terminée et tout de suite j’ai dit: je la monte! »

Voilà qui est fait, à travers la structure du Théâtre de la Pacotille, dont il est le directeur artistique, et dans ce lieu, Aux Écuries, dont les murs sont capables d’en prendre. Aujourd’hui, le metteur en scène a-t-il peur de ne pas savoir transmettre aux spectateurs cette fameuse « clé » dont lui-même a eu besoin? « Il y a là un défi, mais je pense être en mesure de le faire. En même temps, si mon rapport avec le texte avait été simple, évident, je n’aurais sans doute pas travaillé sur ce projet. Ce sont les questions posées qui m’interpellaient. À mon tour, je veux moins voir les spectateurs sortir de la salle en disant avoir tout saisi que leur donner l’occasion d’intérioriser le questionnement. Je veux transmettre le vertige que j’ai vécu. »

DEUS EX MACHINA?

Devant le spectateur, six personnages évoluent, ou pas, sous un ciel vidé de dieux. Vidé mais pas tout à fait vide, pourtant: un ciel-machine qui distribue des numéros à ceux qui n’ont pas été totalement écartés de l’histoire. Avec un grand ou un petit « h », faites votre choix. Si on ne reçoit pas de numéro, alors on n’est pas « pris en compte », ce qui est le cas de Mani et de sa soeur Dani. À la question de Hamlet, « être ou ne pas être », on va ici explorer surtout le « ne pas être », dans ce qui va devenir un discours hybride sur le monde et sur le théâtre.

Les personnages étant conscients de se trouver en représentation, la pièce se déploie sur deux niveaux, les spectateurs ayant à juger, parfois, des éléments de la proposition. « Chacun va s’adresser au public pour vendre son point de vue », confirme Sébastien Dodge, complice de longue date de Paré et membre de la distribution. « Ça fait en sorte, poursuit-il, que nous jouons ensemble, il y a un rythme commun, une histoire qui est arrivée, mais devant cette histoire, chaque personnage demeure dans sa sphère, bien que nous soyons toujours en scène, tous les six. »

L’objet est déstabilisant, vous l’aurez compris, mais il ne s’agit pas non plus d’un OVNI complet, le metteur en scène est là-dessus catégorique: « La pièce respecte malgré tout plusieurs traditions. Il y a unité de temps, de lieu, d’action. Le texte nomme les choses avec précision, même dans les zones floues, je dirais. Simplement, un des thèmes étant l’inertie, Palmetshofer a volontairement évité de solutionner certaines choses. »

« SYSTEME DE MARDE »

Traduite par Muhleisen, la pièce a ensuite été adaptée pour le Québec par Éric Noël. Pas qu’une opération cosmétique, c’est le moins qu’on puisse dire. La langue de Palmetshofer, qui se veut « piétinante, atrophiée et abondante à la fois« , selon la conseillère à la dramaturgie Sara Fauteux, prend ici des accents particulièrement crus, de ceux que la langue québécoise peut porter et qui, selon Paré, convenaient particulièrement à la charge de Hamlet est mort. « Dans notre histoire, avec les sacres, avec Tremblay, avec Olivier Kemeid et Bacchanale, avec Simon Boudreault et Sauce brune, je considère que nous avons notre propre poésie blasphématoire, très riche. Nous avons une matière qui me semble correspondre tout à fait à un des éléments du projet de Palmetshofer: utiliser beaucoup de mots pour ne rien dire de plus. Ce qui est moins possible en français de France. Au-delà des « merde », « putain » et quelques autres mots, ça s’essouffle. Sans compter que nos sacres viennent résonner avec ce propos sur l’absence de dieux… » Laurent Muhleisen aurait d’ailleurs trouvé le résultat, qui en effet choquera les oreilles sensibles, franchement intéressant, voire meilleur!

Une aventure qui n’était possible qu’avec une distribution virtuose, capable de mordre dans cette langue et de donner une cohérence à ce qui demeure un texte troué. Aux côtés de Sébastien Dodge, on verra sur scène Sophie Cadieux, Eve Landry, Dany Boudreault, Normand Daoust et Monique Spaziani.

L’équipage a travaillé fort, à ce qu’on dit, mais le capitaine est confiant. « Ça a été parfois difficile mais passionnant, dit Gaétan Paré. Eux devaient accepter que je ne sache pas toujours ce dans quoi s’ancre la pensée, accepter qu’elle reste sans gravité. Or, tout flotte vers où, vers quel point zéro? C’est dans la non-réponse réunie à travers six pensées que quelque chose se crée. »

Jusqu’au 3 novembre
Aux Écuries

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