Réjean Vallée / Les chaises : Deux solitudes
Scène

Réjean Vallée / Les chaises : Deux solitudes

Dans Les chaises, du maître de l’absurde Eugène Ionesco, un couple tente de sauver sa vie du ratage complet en livrant au monde une information de la plus haute importance.

Du plus profond d’une solitude vécue à deux, trouvant dans les replis d’histoires qu’ils répètent jusqu’à l’écoeurement le moyen de tromper le temps et l’ennui, un couple de vieillards convoque une pléiade de personnages triés sur le volet afin de partager avec eux un message primordial, mais dont on ignore la nature exacte.

Et tandis que les invités débarquent, invisibles, chaque présence fantomatique se voyant offrir une chaise afin d’assister au discours qui sera livré par un orateur spécialement recruté pour l’occasion, le couple (Réjean Vallée et Nancy Bernier) règle ses comptes avec la vie dans une série de dialogues somptueusement décalés, où l’absurde porte la tragédie pour en faire de la comédie. Ou l’inverse.

"On comprend rapidement que pour ce couple, c’est l’heure des bilans, et que ces personnages absents auxquels ils s’adressent, ce sont des gens qui ont croisé leur vie, ou qu’ils ont admirés, qu’ils auraient voulu être", résume Vallée, qui a dû remplacer au pied levé un Jacques Leblanc convalescent.

Traité sur le regret, la vieillesse, la solitude des êtres et la vacuité des rapports humains, Les chaises est un constat de désespoir. "Plus on va, et plus on s’enfonce", dira le personnage qu’interprète Vallée, la sénilité du vieillard mimant aussi celle dans laquelle s’engage l’humanité. "Ce qui m’a fasciné dans ce texte, dès le départ, c’est le besoin de ces deux vieux qui savent qu’ils vont mourir de léguer quelque chose, de donner un sens à une vie qui n’en a pas eu en livrant le fameux message. Il y a quelque chose de très touchant dans le paradoxe de la lenteur de la vieillesse, de la difficulté de s’exprimer, de se mouvoir, et tout à coup cette urgence de vie extrêmement puissante, et désespérée. Et c’est saisissant de voir quelqu’un faire le bilan de sa vie de manière très honnête, parfois amère, avouant l’échec."

"Et pourtant, c’est une comédie, poursuit Vallée. Évidemment, tout cela est excessivement sombre, mais dans le rapport de ces deux personnages, il y a quelque chose de très réjouissant. Même si c’est un théâtre de l’absurde, c’est là que les gens pourront se reconnaître, dans cette relation qui est la chose la plus importante qu’a vécue ce duo. Mais ce n’est pas une relation à l’eau de rose, il y a beaucoup d’adversité, d’amertume, d’impatience, comme c’est souvent le cas dans les vieux couples."

Et il y a cette langue, rythmée, qui déboule sur le public dans un trop-plein qui lui aussi confine à l’absurde.

"En fait, confie le comédien, nous espérons que les gens vont rire. Qu’ils vont absorber la pièce par son angle comique." Et ainsi, rentrer chez eux pour que le sens les frappe de plein fouet au moment où s’éteindra leur sourire.

Du 6 novembre au 1er décembre
À la Bordée