Frankenstein : La part de l'Autre
Scène

Frankenstein : La part de l’Autre

Le Trident, avec le Frankenstein de Jean Leclerc, se plonge dans un 18e siècle purulent, rongé par le mal. Trop humain, ce mal.

Les premiers tableaux de Frankenstein se succèdent à grand renfort de musique dans ce qui s’annonce comme une fresque visant à l’ampleur: la mise en scène de Jean Leclerc, qui place très rapidement de fortes oppositions entre ville et nature, entre lumière et obscurité – certaines images sont magistrales et collent, d’autres s’éloignent du but –, témoigne de l’envie de faire résonner le caractère épique de ce récit parmi les plus mythiques de la littérature occidentale.

En parallèle se dessine surtout cette autre volonté de ramener le récit à l’histoire bien humaine et sensible d’un docteur et de sa créature, et de nous approcher au plus près de ces deux âmes.

La pièce y parvient-elle? Pas complètement. Parce que les tableaux se succèdent à un rythme qui peine à se poser réellement – une part d’impondérable, peut-être, quand on réduit 500 pages à deux heures de représentation – et parce que les dialogues, persillés de grandes répliques, sacrifient parfois la justesse.

Néanmoins, la pièce se garde de tomber dans l’accessoire, et offre à Christian Michaud et Étienne Pilon – qui jouent de prouesse en alternant les rôles chaque soir – toute la place pour déployer leur talent.

Lors de la première, Michaud incarnait, dans un jeu très physique, une créature dont on prenait le parti malgré ses meurtres et sa violence, en face d’un Pilon qui campait un docteur Frankenstein froid et clinique, distant. Prenant la vie pour objet sans jamais s’y jeter, ce dernier trouvait un parfait négatif dans sa créature remplie du désir de s’y joindre, à cette humanité, et la pièce avait là sa plus belle ligne de coupe: mettre le pied dans l’humain, ou pas.

Dans leurs postures respectives, les deux personnages trouvent leur mal: le premier dans sa rancœur et la vengeance qu’elle engendre, le second dans ses absences et la peur qu’elles présupposent. Si bien que c’est une forte réflexion sur le rapport à l’autre que suscite l’antagonisme tracé par les deux comédiens.

Il y a là du beau matériel, qui nous laisse sur une note pour le moins ambiguë: des deux déchéances, on sera bien en peine d’identifier la moindre.