Mommy : Le passé régurgité
Scène

Mommy : Le passé régurgité

Orgie de références, collage inventif et spectacle musical au rythme enlevant, Mommy est un objet bâtard où le comique n’exclut pas la gravité de la satire politique.

Olivier Choinière aime récupérer les genres populaires et les confronter au théâtre. Après Chante avec moi, où la chanson devenait un instrument de conditionnement social, et Nom de domaine, où le jeu vidéo se faisait exutoire, il rapatrie le rap et le film de zombies pour une pièce qui n’est plus tout à fait du théâtre, mais n’en demeure pas moins multidimensionnelle et riche en évocation.

Sous des airs de grosse farce sanglante, reprenant les clichés des films de zombies (démembrements, éviscérations et fontaines de sang), Mommy met en scène une momie, grand-mère de 400 ans, mère de tous les Québécois, qui se relève de sa tombe pour donner à la jeunesse inculte une bonne leçon de vie, prétendant détenir la vérité sur tout, ayant connu la Grande Crise et le bon vieux temps où la morale était respectée. Crachant sa haine de la modernité en rappant, Mommy (incarnée par Olivier Choinière, qui a signé les textes et cosigné la mise en scène avec Alexia Bürger) fera des petits, constituant une famille de morts-vivants porteurs d’une nostalgie généralisée à toute la société. Étanchant leur soif en suçant le sang de tout le monde, ces trois rejetons – Jean-François Nadeau, Guillaume Tremblay (hilarant en bébé) et Guillermina Kerwin (particulièrement énergique et convaincante) – forment un groupe de rappeurs zombies, tandis que la fée Clochette (Fanny Rainville) et Walt Disney (Stéphane Crête) accompagnent le spectateur dans ce conte morbide et musical qui ose tous les amalgames.

Jouant habilement avec les références tirées de notre culture populaire (publicités, émissions de télévision), musicale (chansons de Pauline Julien à René Simard) et politique (discours de Duplessis à Charest), avec de purs délires qui méritent d’être gardés sous silence et des changements de costumes de haut vol, Mommy charrie une dose de nostalgie qui n’est pas sans toucher. Visant l’émotion du spectateur plus que son intellect, ce spectacle est avant tout un excellent concert rap à la technique irréprochable. Chapeau à Philippe Brault et Choinière qui signent la musique et le montage sonore, et à DJ Naes pour sa prestation sans faille. Le mélange de rap, de musique de films de morts-vivants et de profusion d’extraits aurait pu planter si le montage n’avait pas été aussi impeccable et les chansons et les beats, aussi entraînants et persuasifs. En ce sens, Choinière réussit son pari, emportant le public dans sa vague nostalgique, même si on méprise en chœur les Charest et Harper écorchés sans scrupule.

L’humour grossier peut parfois lasser et on regrette quelques relâchements (dans le jeu de Choinière, entre autres, qui n’est pas un acteur, mais s’en tire grâce aux extraordinaires costumes et accessoires signés Elen Ewing), mais on ne peut bouder l’immense plaisir qu’on retire de ce spectacle gore (un genre peu fréquenté par notre théâtre) qui agit comme une sorte de lavage collectif. Se moquant d’un Québec qui idolâtre la vieillesse tout en cultivant la jeunesse, qui ne veut pas grandir et s’attache au passé sans le respecter, Mommy fait le portrait d’une société ambivalente qui piétine dans son sang et ses excréments, morte-vivante, ni mûre ni innovante, mais qui a un sacré sens de la fête.