Des couteaux dans les poules : D'encre et d'os
Scène

Des couteaux dans les poules : D’encre et d’os

Intelligence et courage. Il en a fallu à la jeune Catherine Vidal pour monter Des couteaux dans les poules de l’Écossais David Harrower. Une pièce archaïque, rude et elliptique dont elle signe la mise en scène pour le Groupe de la Veillée.

Nous voici sur le plancher des vaches, de foin tapissé. On imagine le soleil brûlant, la terre qui se mêle à la sueur des paysans trimant dur sur la lande. Une jeune femme (Isabelle Roy) essaie de dire ce qui lui brûle la gorge. Elle s’oppose à l’inexactitude de son mari laboureur (Stéphane Jacques) qui la compare à un champ. Partout où elle va, elle essaie de nommer les choses du ciel et de la terre avec les limites de son vocabulaire. Jusqu’à ce qu’elle affronte sa peur et son ignorance auprès du meunier (magnifique Jean-François Casabonne), l’érudit du village qui lui remet la clé de voûte de l’écriture.

Dès le premier éclairage, nous voilà transportés à une autre époque. Celle d’un passé indéfini dont l’esthétique renvoie à un vieux livre de contes aux pages jaunies et à l’odeur humide. Le parler des paysans est aussi rude que leur difficile métier. Des pronoms, des verbes, mais aussi des pans du récit ont été occultés.

C’est l’univers âpre de David Harrower (Blackbird) que la metteure en scène du Grand cahier, Catherine Vidal, a reconstruit avec brio. Elle en a saisi l’essence osseuse, et a réussi à faire entendre son langage épineux à travers le jeu méticuleux des comédiens. Elle a aussi eu l’intelligence de ne pas inonder les fossés creusés par l’auteur, sauf par des «respirations» sonores abstraites. Le vieux livre de contes est aussi un livre à colorier.

Tout n’est pas raconté des longues heures que passe la jeune femme à attendre, debout sous l’énorme meule de pierre, que son blé soit moulu. Temps d’attente que le meunier occupe à écrire. Dans sa main, un stylo à encre fait office d’objet inédit. Sous l’emprise de la jeune femme, l’instrument déverrouille une écriture profondément enfouie en elle, qui l’ensorcelle. Le verbe dénoué de la femme prend alors une étonnante fluidité. Des bouts de papier tachés d’encre se déchirent et se mêlent au foin sur le sol. 

L’amour arrive aussi, par l’inconscient; le meunier vient hanter les rêves de la jeune femme. Un amour consommé et magnifiquement mis en scène. Elles sont d’ailleurs nombreuses, ces images fortes et symboliques s’appuyant sur des éclairages enveloppants (Alexandre Pilon-Guay) et une scénographie soignée (Geneviève Lizotte).

Tout ne sera pas expliqué non plus quant au dénouement de ce triangle amoureux que seule l’écriture saura garder vivant.