Ce samedi il pleuvait : Les dépossédés
Scène

Ce samedi il pleuvait : Les dépossédés

La famille de banlieue de Ce samedi il pleuvait crache son mal de vivre dans une déferlante de rage et de colère de haut vol.

Dans une ville de banlieue d’un futur proche où la xénophobie pousse certains élus à souhaiter des fortifications autour de la ville pour se protéger des envahisseurs, une famille déverse de manière frontale sa logorrhée de haine envers une vie baignée de conformisme, envahie de bébelles et de références commerciales et politiques assimilées comme une seconde peau, une vie surprotégée au point de tuer sa vraie nature.

Les jumeaux (parlant en unisson) refusent toute association ou tout lien d’affection, en réaction à leur propre enchâssement l’un dans l’autre, parlant en synchronisme et ne rêvant que d’indépendance. Les parents espèrent la catastrophe, la mort d’un enfant et autres choses vicieuses susceptibles de faire éclater le cocon douillet dans lequel ils étouffent. La tension monte jusqu’à l’acte violent qui réveille les fantômes et révèle une malédiction tragique à l’origine de la famille, et contre laquelle les parents se sont prémunis en fuyant en banlieue, sorte d’enclave faussement préservée du malheur.

Plus qu’une simple satire sociale de la banlieue, la pièce percutante d’Annick Lefebvre, écrite dans une langue viscérale et texturée, évoque la perte de repères et l’aliénation d’une famille dans laquelle chacun est enfermé en lui-même, étranglé par le clan, en proie à des fantasmes d’une violence extrême comme dernier souffle de vie hors des cadres imposés et des automatismes. Les monologues récités mécaniquement, mais chargés d’une rage sauvage, témoignent de la dépossession de ces êtres déchirés entre réflexes et désirs. Le moment des révélations brise un peu la lancée fulgurante des premiers aveux, mais le récit se construit intelligemment jusqu’à sa chute finale.

La mise en scène simple et efficace de Marc Beaupré traduit magnifiquement le déséquilibre de ce quatuor égaré qui se dédouble en traçant sa silhouette à la craie sur un tableau noir, dessins qui deviendront ceux d’une scène de crime prémonitoire. Au-dessus d’eux trône le portrait de famille glacé dans sa fausse représentation du bonheur, modèle oppressant déconstruit avec force par les quatre solides acteurs (Maxime David, Sébastien David, Alexandre Fortin et Marie-Ève Milot). Beaupré réaffirme ici son talent d’écoute musicale des textes, orchestrant cette partition étourdissante avec maestria.