Le chant de Sainte Carmen de la Main : Changer le monde
Scène

Le chant de Sainte Carmen de la Main : Changer le monde

Le chant de Sainte Carmen de la Main, converti en théâtre musical par René Richard Cyr, ressuscite avec ferveur le cri d’affirmation du Québec des années 1970.

«Vous avez le droit d’exister», clame Carmen aux laissés-pour-compte de la Main, après avoir passé six mois à Nashville pour perfectionner ses yodles. La chanteuse country revient à Montréal en messie, ayant troqué les paroles des autres contre les siennes, chantant pour les plus démunis et les marginaux qui doivent se lever debout. On est en 1976 et Carmen porte le rêve d’un pays à faire, mais Maurice, le gérant cupide, voit d’un mauvais œil la chanson engagée de sa protégée, la mettant en garde contre les risques du soulèvement populaire. Il a quelque chose d’un peu démodé, le rêve de Carmen de changer le monde. La cause a perdu quelques-unes de ses plumes au fil des trois décennies qui nous séparent de la pièce de Michel Tremblay.

Mais le combat entre l’art et le commerce n’est pas mort et René Richard Cyr le ramène sur scène à un moment où le Québec a encore besoin de se faire rappeler qu’il peut résister à la domination d’une vision économique. Le metteur en scène ne fait pas de réelle relecture de la pièce, préférant la fidélité au texte de Tremblay qui renvoie à un univers très ancré dans un contexte historique. Ce choix n’enlève rien à la beauté de cette pièce musicale signée par le duo gagnant derrière Belles-sœurs.

La magnifique musique de Daniel Bélanger ajoute des textures nouvelles, souvent en dissonance et en clair-obscur avec le texte sombre de Tremblay, et la direction d’acteurs de Cyr est impeccable, notamment le chœur du Red Light particulièrement flamboyant avec ses guidounes et ses travelos à la fois tragiques et ludiques dans leur explosion de joie fébrile et leur désœuvrement vulgaire. France Castel, en chanteuse sud-américaine déchue, et Normand D’Amour, en gérant ne jurant que par le profit, méritent une mention, mais Maude Guérin offre une fort inspirante Carmen.

Certaines chansons atteignent un niveau sublime d’émotion, comme ce chant inaugural à Carmen, entonné par un chœur aux tonalités sacrales, ou cette chanson préparant sa montée sur scène, qui résume à elle seule la triste fête imaginée par Tremblay, où le courage d’une artiste résistante réussit à galvaniser le peuple, pour qu’elle finisse sacrifiée, enterrée avec les autres rêves québécois mort-nés.