Juste Pour Rire : Hairspray: entre Broadway et Montréal, le cœur de Denise Filiatrault balance
Scène

Juste Pour Rire : Hairspray: entre Broadway et Montréal, le cœur de Denise Filiatrault balance

Denise Filiatrault connaît et maîtrise les codes de la comédie musicale à l’américaine. De plus en plus et de mieux en mieux. Je ne suis pas fan du genre, mais je n’ai pas eu le choix de me laisser gagner par Hairspray, une comédie musicale irrésistible, imparable, portée par une distribution hors-pair. 

Même si les quelques chanteurs issus de Star Académie n’ont pas de grands talents d’acteurs, ils savent danser et chanter comme des dieux et on arrive à leur pardonner même quand leurs répliques sonnent horriblement faux. On oublie même le jeu hyper maladroit de Kim Richardson quand sa voix puissante retentit dans quelques chansons tout à fait adaptées à son registre. Bref, après toutes ces années à défricher le territoire du musical,la Grand Jaune peut se targuer d’être la reine québécoise du genre.

Adepte du divertissement populaire et d’un théâtre clinquant qui assume ses paillettes, dans une forme directe et droit au but, Denise Filiatrault est peu encline à oser des relectures audacieuses. Hairspray ne s’y prête d’ailleurs pas tellement: c’est une comédie intelligente (traversée d’un propos social percutant sur la ségrégation), mais unilatérale et démonstrative. Tout est écrit et souligné: il n’y a pas de zones d’ombres et pas d’ambiguïtés qui pourraient inviter à se livrer au jeu des réinterprétations. N’empêche, je me demande s’il est nécessaire de faire une reconstitution aussi rigoureusement exacte de la mise en scène new-yorkaise de Jack O’Brien? Quel est l’intérêt de produire une version québécoise de Hairspray si elle se contente de copier sans vergogne l’originale? Certes, il a fallu franciser le livret (travail réalisé très efficacement par Yves Morin), mais, hormis la couleur de quelques robes et de quelques pans de murs, la pièce reproduit le travail du metteur en scène de Broadway. Ceux qui ont vu le spectacle au Théâtre St-Denis pourront s’amuser au jeu des comparaisons grâce à Youtube, où l’on trouve en deux parties une captation de l’intégrale du spectacle de Broadway.

Chez Juste pour Rire, on me dit que les producteurs new-yorkais ont insisté pour approuver plusieurs éléments de la production montréalaise. Ceci explique sans doute cela. Mais à ce que je sache, un producteur possède les droits sur le livret et peut contrôler les adaptations et traductions du texte, mais il n’a pas le contrôle sur la mise en scène. Même si c’était le cas, il aurait fallu au moins nommer le pauvre bougre quelque part dans les crédits du spectacle. Mais non. Denise Filiatrault n’indique nulle part qu’elle adapte aussi le travail de Jack O’Brien. La pratique me semble malhonnête. Je la souligne parce que, hélas, ce n’est pas la première fois qu’une telle chose se produit (relire à ce sujet notre critique de La mélodie du bonheur, en 2010, par le collègue Christian Saint-Pierre).

Autrement, pas de doute possible, c’est du vrai bon boulot de chef d’orchestre (et la complexité d’une telle production est indéniable, avec sa trentaine d’acteurs-chanteurs-danseurs, son house band et ses chorégraphies rythmées). Avec un budget moins imposant que ses homologues de Broadway, Filiatrault réussit à faire un travail qu’ils ne renieraient pas. Elle a le sens du rythme et sait tirer le meilleur de chacun de ses interprètes. C’est à eux que doivent s’adresser les éloges. Vanessa Duchel, dans le rôle principal de Tracy Turnblad, est absolument à sa place: vive, colorée, pétillante et combative. Gardy Fury, que plusieurs spectateurs semblaient découvrir, vole la vedette avec sa corporéité fulgurante et ses incontournables mouvements de bassin, en plus d’être un acteur de bonne tenue. On pourrait en nommer bien d’autres: la délicieuse Tanya Brideau dans le rôle de Penny Pingleton ou Louis Champagne dans les robes d’Edna Turnblad, par exemple. Et, comme l’a souligné Nathalie Petrowski dans La Presse, le spectacle offre une rare occasion de découvrir des acteurs québécois de couleur, dans un milieu frileux qui ne leur laisse jamais la place qui leur revient. Un divertissement de grande qualité, et peut-être la meilleure comédie musicale dirigée par Denise Filiatrault ces dernières années. Si seulement elle nous laissait voir quelques parcelles de son imaginaire…

Jusqu’au 21 juillet au Théâtre St-Denis

Une production Juste Pour Rire