Corps anonymes : Faire rimer art et quotidien
Scène

Corps anonymes : Faire rimer art et quotidien

Cet été, les abords du Théâtre de Verdure du parc Lafontaine seront régulièrement infiltrés par une vingtaine de Corps anonymes dans une opération ludique orchestrée par Katya Montaignac.

La tête dissimulée sous des capuches, des casques d’écoute sur les oreilles, des danseurs professionnels et amateurs se laissent guider par les consignes préenregistrées de Katya Montaignac, dramaturge prisée et directrice artistique de nombreux projets chorégraphiques. Ils composent des figures collectives – étoile, ligne droite ou sinueuse, enchevêtrement de corps… –, prennent des poses précises, improvisent des solos, interagissent avec des spectateurs. Depuis sa création en 2009, Corps anonymes a été présenté une trentaine de fois dans divers lieux publics. Selon les contextes, on peut y lire toutes sortes d’images et d’intentions. Mais pour cette Franco-québécoise qui a fondé O.D.N.I (Objets Dansants Non Identifiés) et qui voit une chorégraphie dans le moindre mouvement de foule, l’idée est avant tout de créer un espace poétique.

«La présence de tous ces corps et la musique diffusée par haut-parleurs apportent une certaine poésie, mais ce qui rend la performance magique, autant pour le public que pour les interprètes, c’est le va-et-vient perpétuel entre représentation et réalité, assure-t-elle. Car l’une des consignes de base est de ne pas s’enfermer dans une bulle et de jouer avec ce qui se produit autour soi.»

Jouer avec un chien qui passe, partager le biscuit tendu par une petite fille, répondre aux questions d’un spectateur… Les occasions d’accrocs à la partition chorégraphique sont nombreuses. «J’aime que l’œuvre soit ouverte à ces espaces réels qui viennent la perturber, je les considère comme une plus value performative, poursuit Montaignac. J’insiste aussi pour que les danseurs multiplient les moments de rébellion, parce que je trouve intéressant quand l’un d’eux décide de devenir spectateur ou de carrément faire autre chose que le groupe.»

Conçue comme un jeu, cette proposition chorégraphique se concentre sur l’idée de partager un lieu et une expérience en évitant qu’un quatrième mur ne se forme dans l’esprit des danseurs et des spectateurs. Très simple en termes de composition spatiale et de gestuelle, laissant une grande liberté d’interprétation aux participants, elle vise principalement à mêler l’art au quotidien, d’où l’idée d’infiltration chorégraphique. Le choix d’impliquer des non-danseurs dans la distribution n’est d’ailleurs pas anodin.

«J’aime la diversité des postures et gestuelles des non-danseurs ainsi que leur qualité particulière de présence, précise celle qui préfère le titre de maître de jeu à celui de chorégraphe. Ils me touchent et me permettent, en tant que spectatrice, de me projeter sur une personne qui pourrait être ma voisine, ma grand-mère, ma sœur… J’aimerais que chaque spectateur puisse se dire, en regardant l’un ou l’autre des participants, que ça pourrait être lui. L’anonymat me plaît pour la même raison: avec une capuche, on n’est personne et n’importe qui à la fois.»

De là à ce que les écouteurs changent d’oreilles et que des spectateurs deviennent performeurs le temps d’une chanson, il n’y a qu’un pas. Envie de le franchir?