Théâtre culinaire : Ces artistes qui jouent avec la bouffe
Scène

Théâtre culinaire : Ces artistes qui jouent avec la bouffe

La bouffe, ça se passe à table, non? Pas dans l’esprit d’une quantité grandissante d’artistes internationaux qui interrogent nos habitudes alimentaires en jouant avec la bouffe sur scène. Voici la programmation idéale d’un festival de théâtre-bouffe à inventer.

Commençons tout de même par observer ce qui se passe dans notre cour. Si les Québécois sont incontestablement de plus en plus foodies, nos artistes de la scène n’ont pas encore tellement voulu réagir à cette invasion incontrôlable de la culture culinaire dans nos vies. Partout dans le monde, et particulièrement chez nos voisins américains (les New-Yorkais en tête de liste), la bouffe apparaît sur scène et subit des détournements ou des réinventions qui, ensemble, tissent une toile de réflexions sur l’alimentation, la traçabilité des produits, l’esthétique culinaire ou les rituels de consommation. Ceci dit, il faudra ouvrir les yeux: on retrouve peut-être un peu de tout ça, sur un mode léger, dans Bouffe, pièce ludique et clownesque du Théâtre populaire de l’Acadie et de Satellite Théâtre (Montréal) qui prend bientôt l’affiche du Festival Zones Théâtrales d’Ottawa.

Mon festival idéal de théâtre-bouffe commencerait par un happening musical signé Fast Forward, un artiste new-yorkais qui sillonne le monde avec son concept de concert Feeding Frenzy, dans lequel des musiciens sont invités à composer en direct une musique pour accompagner les bruits amplifiés de la préparation de la nourriture par cinq chefs locaux. Les odeurs de cuisson se répandent pendant que le processus culinaire devient un hymne grandiloquent ou une mélodie électroacoustique. La démarche rappelle un peu celle de Matthew Herbert, compositeur britannique qui a visité Montréal lors du plus récent festival Mutek avec le spectacle One Pig, dont la musique interprétée en direct est inspirée des couinements d’un cochon tout au long de sa vie, et évoque les maltraitances que l’animal subit avant de se retrouver dans nos assiettes. Pendant ce temps, en arrière-scène, un chef local cuisine doucement un plat de porc dont les effluves parcourent la salle.

Suivrait une performance de l’artiste britannique Bobby Baker qui, en plus de proposer des spectacles prenants sur la maladie mentale, a souvent rempli la scène de bouffe pour préparer des plats avec différentes parties de son corps, cherchant à interroger les rituels de l’alimentation et à transformer la nourriture en œuvre abstraite pour y traquer la poésie qui s’y cache. Table Occasion ou Cook Dems, des œuvres créées dans les années 1990, sont les pièces les plus emblématiques de ce travail qu’elle nomme elle-même «food art».

À New York, encore et toujours, le festival Umami se dédie aux rapports entre la nourriture et l’art et a contribué au rayonnement de Mimi Oka et Doug Fitch, artistes qui, dans une série d’œuvres appelées les Orphic feasts, composent des tableaux vivants avec de la nourriture, créent des installations mangeables et préparent de copieux banquets s’inspirant de jeux de mots, avec un humour décapant. Bref, ce sont des repas expérimentaux multisensoriels. À travers ces festins décadents se déploie une réflexion sur l’esthétisme de la nourriture et sur son caractère éphémère, mais aussi sur la manière dont les victuailles nourrissent le corps aussi bien que l’esprit. Les curieux seront heureux de savoir que leurs expérimentations ont fait l’objet d’un livre, Festins orphiques, paru en français aux éditions L’Épure.

L’Espagnole Alicia Rios a une démarche semblable: elle crée des environnements comestibles pour interroger le lien entre la bouffe et les environnements naturels desquels elle est tirée.

Alors, à quand un festival d’art-bouffe au Québec? L’invitation est lancée.