Maguy Marin / Salves : Résister au pessimisme
Scène

Maguy Marin / Salves : Résister au pessimisme

Danse Danse ouvre sa saison avec de la grande visite: six ans après sa venue au FTA, la Française Maguy Marin présente Salves, une œuvre théâtrale pour sept danseurs que certains critiques qualifient de chef d’œuvre.

Chorégraphe emblématique de la nouvelle danse française, Maguy Marin s’est distinguée dès la fin des années 1970 par son intégration d’éléments théâtraux non dansés et sa grande diversité de types de corps. D’emblée, elle a également fait sa marque avec des œuvres fortes, critiques souvent cinglantes des valeurs bourgeoises et d’une certaine apathie face à la déshumanisation du monde. Créé en 2010 dans la région lyonnaise où cette créatrice sexagénaire dirigeait alors un centre chorégraphique national, Salves s’inspire de divers penseurs ayant nourri plusieurs de ses œuvres.

«Après un 20e siècle très meurtrier, catastrophique, nous vivons une période qui n’est pas très gaie, constate cette fille de réfugiés espagnols ayant fui le franquisme. Et quand Walter Benjamin écrit qu’il faut organiser le pessimisme, cela me renvoie à l’idée de ne pas se laisser à une sorte de déception et se morfondre dans le malheur, de ne pas lâcher et se dire qu’il y a toujours eu des gens qui ont résisté au crime, à la lâcheté. J’avais envie de travailler là-dessus. Aussi, dans La survivance des lucioles, Georges Didi-Huberman parle des milliers d’endroits qui sont peut-être peu visibles, mais où on continue à résister à cette espèce de cruauté du monde.»

Construit sous forme de vignettes défilant comme un film au montage très nerveux, Salves montre une petite communauté humaine prise par l’urgence d’échapper ou de survivre aux catastrophes. Minutieusement chorégraphié dans l’espace et le temps, son action se déroule dans un appartement plongé dans le noir, hommage à ces héros de l’ombre qui luttent pour le salut de l’humanité. Seuls de nombreux flashs de lumière éclairent les scènes qui s’enfilent à un rythme d’enfer pour retracer les temps forts du siècle dernier à grands coups de clins d’œil à l’histoire de l’art et de symboles forts tels qu’une statue de la liberté s’écrasant sur le sol, un Christ héliporté ou une Marianne guidant la révolution.

«La pièce se concentre sur le 20e siècle parce qu’il est encore frais, que je l’ai en partie vécu et que je me demande comment retisser du lien avec les générations futures et leur transmettre des choses pour que tout ne s’écroule pas. C’est un siècle marqué par des événements terribles comme la guerre de 39-45, mais aussi par l’espoir et la mobilisation sociale pour les congés payés, la sécurité sociale, la séparation de l’Église et de l’État; les valeurs du beau dans l’art y ont aussi explosé… Mais, depuis 20 ou 30 ans, le capitalisme, le néolibéralisme et l’individualisme prennent le dessus, la situation est à nouveau assez catastrophique et on n’arrive plus à mobiliser les forces collectives pour lutter contre ce qui nous arrive.»

Toujours résolument inscrite dans la résistance à la marchandisation de l’art, Marin ne crée ni pour la gloire ni la fortune, mais pour la rencontre avec les spectateurs avec lesquels elle espère partager force et énergie pour faire évoluer la cause humaine. Et pour éviter que l’angoisse ne vienne tuer l’espoir, elle mêle avec subtilité tragédie et humour dans cette pièce qu’on dit aussi puissante que la mythique May B.