Chris Haring / Running Sushi : Un Japon de pacotille
Scène

Chris Haring / Running Sushi : Un Japon de pacotille

Regard amusé sur la culture japonaise et exploration du devenir cybernétique du corps sont au menu de Running sushi, une pièce de l’Autrichien Chris Haring que nous offre l’Usine C pour trois petites soirées.

Ils sont deux sur scène et jouent, dans le désordre, des morceaux de quotidien dans lesquels ils expérimentent différents modes d’interaction dans un arrière-plan pseudo-japonais, parfois alimenté par la science-fiction. On dit que ce spectacle ausculte le couple. C’est en partie vrai. On raconte qu’il recrée l’univers manga. Ce n’est pas faux. On lui prête des intentions engagées en soulignant le fait qu’il critique le consumérisme ou la superficialité des relations humaines. Ce n’est pas l’objectif recherché, mais Running sushi, c’est tout de même un peu tout cela. 

«Je pense que c’est notre ironie qui pousse les critiques à nous considérer comme des artistes engagés, dit le chorégraphe Chris Haring. Mais ce n’est pas notre intention. Nous sommes néanmoins partisans du sarcasme et nous sommes sceptiques devant notre société dans laquelle les gens se mettent en scène en se construisant une identité factice. Mais je vois plutôt cela, dans notre travail, comme une démarche pure de connaissance de soi: nos danseurs s’analysent, se scrutent, tentent de se comprendre.»

Cette démarche d’appropriation de soi passe d’abord par une tentative de capter les codes de la culture japonaise, un univers dans lequel les danseurs de la compagnie s’invitent sans tout à fait le maîtriser, y projetant leurs propres fantasmes. «Nous aimons beaucoup les mangas, explique Haring, à cause de leur structure simple. On a l’impression que cette structure permet toujours de considérer une situation selon différentes dimensions. Dans un manga, le mouvement, la parole et le langage invisible du corps sont tous contenus dans la même image. En danse, on s’inspire du manga pour travailler les lignes pures, pour observer le corps à partir de différentes lignes de perspective.»

Tant qu’à se prendre d’affection pour les mangas, ils ont voulu accaparer un autre phénomène populaire japonais et ont décidé de servir des sushis aux spectateurs en début de spectacle. «Le buffet de sushis nous a inspiré un mode narratif. Les sushis sont numérotés et on joue les scènes dans l’ordre dans lequel ils ont été mangés. L’idée derrière ça est de créer une narration parce qu’elle nous apparaît essentielle, et de déconstruire par le fait même cette narration pour que l’oeil du spectateur se concentre davantage sur le corps du danseur, qui est notre principal objet d’intérêt.»

Épris de science-fiction, Chris Haring et ses danseurs se plaisent surtout à imaginer l’évolution du corps humain. Ils ont rêvé de cyborgs, mais ont vite abandonné l’idée de travailler avec des prothèses ou autres extensions corporelles. Nous sommes déjà des post-cyborgs, pense le chorégraphe. «Les prothèses apparentes, la technologie ajoutée au corps, c’est du passé. Juste dans nos rapports avec les univers virtuels, qui seront bientôt complètement dématérialisés, sans appareils mobiles, on est de plus en plus dans une intégration corps/technologie parfaitement lisse. Ce qui est assez fascinant.»

Ironie, science-fiction et Japon de pacotille: on n’en demandait pas tant.