Philippe Cyr et Jean-Paul Daoust / Cendres bleues : Les mots pour le dire
Scène

Philippe Cyr et Jean-Paul Daoust / Cendres bleues : Les mots pour le dire

Quinze ans après sa parution, le long poème Les cendres bleues de l’inénarrable Jean-Paul Daoust est adapté pour la scène par Philippe Cyr, jeune metteur en scène happé par les chevauchements entre amour et douleur contenus dans ce texte fiévreux.

À la radio, dans son ode hebdomadaire à l’émission Plus on est de fous, plus on lit!, les mots de Jean-Paul Daoust sont souvent festifs, à l’image du flamboyant personnage qu’il a toujours été et dont la personnalité enjouée semble parfaitement inépuisable malgré ses 67 années de vie sans ménagements. Quand il a fait paraître Les cendres bleues, en 1998, son écriture n’était pas moins vibrante, mais elle s’attardait à peindre, en choisissant bien les mots, une situation troublante: l’histoire d’amour entre un enfant de six ans et demi et un jeune homme de vingt ans. Un récit autobiographique, il va sans dire. «À l’époque où les doigts des autres enfants apprenaient / La grammaire les miens épelaient / Les noms de mes amants surtout un / Baptisé du péché de la chair avant l’âge de raison.»

«Je voulais écrire un roman, rappelle Daoust. Mais cette histoire a surgi de moi sous forme de long poème, parce que la poésie permet d’aller au fond des choses, dans le vif, sans fioritures. Avec peu de mots, on peut dire tant de choses. Je voulais des mots qui racontent sans jugements, des mots d’enfants pour raconter cet imbroglio, ce dédale, pour exprimer la manière dont je me suis fait happer par le Minotaure dans un labyrinthe.» Pris d’urgence et de nécessité, Daoust a écrit ce texte pour se guérir de cet amour illicite. «Il fallait écrire ce livre pour continuer à aller de l’avant, dit-il. Ce livre a été une bombe, c’était énorme. Je l’ai écrit pour dire, en quelque sorte, à quel point l’enfance est sacrée et pour réaffirmer que l’enfant doit être laissé tranquille. Je me suis guéri de cet étrange amour d’enfance grâce à la poésie.»

À six ans et demi, le metteur en scène Philippe Cyr ne menait pas une vie aussi tumultueuse. Il apprenait paisiblement à dessiner des lettres sur des feuilles lignées. Il a découvert Les cendres bleues tout récemment, à la suggestion d’un ami, et a été fasciné par ce texte qui raconte le sentiment amoureux avec «une justesse incroyable». «Dans ce sentiment de passion, explique-t-il, la douleur n’est jamais loin. Jean-Paul montre à quel point les sentiments exacerbés sont durs à soutenir, à quel point l’intensité du sentiment amoureux peut-être ravageur, à quel point il peut tout détruire. C’est troublant de voir un sentiment aussi puissant se développer chez un garçon de six ans et demi. Même si le narrateur du poème est plus vieux et a pris une certaine distance par rapport à l’enfance brisée, il y a quelque chose d’incroyable là-dedans. L’écart entre la réalité et la fiction est d’ailleurs l’un des aspects les plus stimulants du texte, l’un des défis pour moi.»

L’envie de porter ce texte à la scène n’a pas tardé à le tenailler. Il s’est mis à la tâche et a découpé le texte pour le faire entendre par les voix de trois acteurs (Sébastien David, Jonathan Morier et Jean Turcotte). «Ça me semble être la manière la plus juste de représenter l’aller-retour entre la réalité et le fantasme, comme un dans gros jeu de ping-pong verbal à plusieurs niveaux, et de montrer avec toutes les nuances qui s’imposent la révélation des sentiments de cet enfant trop mûr pour son âge. C’est un texte sédimenté, dont on doit révéler les différentes couches en dégageant le mieux possible les images poétiques, et en accaparant son rythme particulier: c’est un texte d’une rare densité, sans ponctuation.»

On peut même être pris de vertige devant cette longue prose indomptable. Philippe Cyr a choisi de l’apprivoiser à travers une décortication rigoureuse. «Pour m’approprier le texte, il m’a fallu d’abord isoler, un par un, la folie, l’extraordinaire, le poétique, la complexité, mais j’essaie de les faire entendre sur scène de manière sobre. Il ne faut pas écraser l’écriture de Jean-Paul. Je suis admiratif de son impudeur, je ne veux rien brusquer dans son texte. C’est l’histoire d’un homme qui se dévoile dans la plus pure sincérité, qui a sorti ses tripes et qui ne dissimule rien, dans une écriture d’une seule coulée, comme un long souffle. Ça rend sa prise de parole immense.»

Du 22 octobre au 9 novembre à la salle Jean-Claude Germain du Théâtre d’Aujourd’hui