Le carrousel : Faire tourner le monde
Scène

Le carrousel : Faire tourner le monde

Dans Le carrousel, un texte plus lumineux et plus réaliste que La liste, son précédent récit théâtral, Jennifer Tremblay convoque les fantômes et raconte la filiation et la maternité. Seule en scène, Sylvie Drapeau est puissamment habitée.

C’est une femme anonyme qui, dans cette pièce, s’efface pour évoquer les figures de sa mère et de sa grand-mère ainsi que celle de ses fils, comme dans une traversée des générations sous le signe de l’amour filial et de la transmission. Si La liste, mise en scène par Marie-Thérèse Fortin en 2010, empruntait le ton de la confession pour livrer un récit tragique de culpabilité, Le carrousel use des mêmes mécanismes d’écriture pour porter une multiplicité d’histoires et une bonne dose de lumière dans l’adversité. Évoquant sa mère puis sa grand-mère, faisant revivre une époque rurale et un brin rustique, le personnage interprété par Sylvie Drapeau restitue les moments heureux commes les périodes sombres, mais termine toujours sur une note d’espoir, ramenant à son esprit, au-delà de l’amertume que peuvent lui inspirer les moments difficiles, le plaisir que lui procurent les souvenirs d’amour. C’est inoffensif, il faut le dire, et un peu gentillet, mais bel et bien lumineux. 

La transmission, la filiation et la maternité sont ainsi les trois thèmes connexes qui se croisent et se décroisent dans la tête de cette femme qui cherche dans le passé des réponses à son angoisse du présent. Les souvenirs parfois imprécis, les bifurcations soudaines de la pensée et les allers-retours inattendus dans la mémoire sont finement incarnés par l’écriture allusive, fragmentaire et délicate de Jennifer Tremblay, en toute cohérence avec l’état d’esprit du personnage et en reflétant parfaitement l’organisation hachurée de son espace mental.

Sylvie Drapeau emprunte avec grâce les sentiers sinueux de cette écriture et, sans sombrer dans la caricature ni pousser la note, elle arrive bellement à donner vie aux nombreux personnages.

Optant pour un traitement plus réaliste, à travers une direction d’acteurs plus traditionnelle que celle qu’avait privilégiée Marie-Thérèse Fortin dans La liste, Patrice Dubois propose un regard tendre et touchant sur les multiples vies du personnage. Sa démarche met toutefois moins bien en relief la puissance formelle du texte, qui fonctionne par boucles successives et par répétitions, comme le fait justement un carrousel qui traverse les heures et les années par accumulation de mouvements circulaires. Mais plus le spectacle avance et plus le jeu de Sylvie Drapeau s’arrime au subtil travail sonore du musicien Jasmin Cloutier, caché derrière le grand rideau semi-transparent, orné de dentelleries, qui rappelle les grandes fenêtres de l’enfance du personnage sur la Côte-Nord.

Derrière ce rideau seront graduellement dévoilés, par les doux jeux de lumière d’Alexandre Pilon-Guay, ce que l’oeil devine être de petits carrousels en mouvement. Voilés d’un halo de mystère, ces éléments scéniques ne sont ni trop illustratifs ni trop abstraits et font office de symbole. Racontent-ils les mystères d’un passé qui rattrape le présent? Illustrent-ils la vie qui suit son long cours malgré l’adversité? Un peut de tout ça. Le spectacle y gagne en poésie, un peu sur le tard, et on se prend à rêver que cette imagerie soit davantage approfondie.