Théâtre racoleur : Le spectacle de l'intimité
Scène

Théâtre racoleur : Le spectacle de l’intimité

Bien qu’il fasse partie du quotidien, le sexe provoque souvent de vives réactions lorsqu’il s’exprime sur scène. À la fois percutant et fascinant, il habite le théâtre plus que jamais.

Eros et Thanatos

Le fait que la sexualité soit un sujet si récurrent à la scène (tout comme à l’écran) n’est pas anodin. Serait-ce parce qu’elle fait partie intégrante de l’intimité? Chose certaine, le sexe semble un sujet d’inspiration inépuisable et à propos duquel tout est toujours à écrire. «Quand on parle de sexe, le temps s’arrête», amorce avec enthousiasme Anne-Marie Olivier, auteure de Faire l’amour, qui prendra l’affiche au Périscope en avril. «Parce que c’est un des plaisirs incontournables qu’on peut rencontrer dans la vie. C’est un monde fascinant, parce qu’on est tous issus de ça.»

Véritable célébration de la vie, le sexe fascine tout autant lorsqu’il est question de son caractère instinctif. «Je pense que c’est une des grandes pulsions qu’on a, comme être humain, qui est encore permis de laisser aller», affirme Steve Gagnon, comédien et auteur derrière le texte de Ventre, présenté cette semaine à Premier Acte. C’est d’ailleurs la direction vers laquelle tend la pièce, alors qu’on assiste à la réconciliation difficile d’une relation amoureuse, qui s’élargit finalement pour traiter de la récurrence de la mort dans nos vies (sous la forme de la trahison, de l’abandon ou de la défaite) et contre laquelle les personnages luttent. 

Histoires de cul

Dans Les liaisons dangereuses, production qui clôturera la saison de la Bordée, la sexualité emprunte plutôt la forme du désir et de la conquête. «Au théâtre, il faut un conflit. Ça peut être la violence, la jalousie, mais ça peut être aussi le sexe et le désir qui sont au cœur du conflit»explique Marie-Josée Bastien, interprète du rôle-titre féminin dans ce texte datant de 1782. «Dans ce cas-ci, l’amour ne rentre pas du tout en ligne de compte. Ce qui compte, c’est comment ils vont réussir à conquérir l’autre. [Merteuil] couche avec des hommes pour garder sa liberté.»

Dans le texte de Steve Gagnon, c’est en quelque sorte la relation avec le corps qui est au cœur du conflit, d’où le fait qu’on retrouve sur scène les corps nus des deux acteurs. «Dans Ventre, le refuge c’est le corps de l’autre. Dès le départ, l’idée du corps à corps, de la chair à la chair, est essentielle.» Il est alors tout aussi essentiel de tracer une ligne entre nudité et sexe au théâtre. «Je pense que le piège aurait été de l’éviter par prudence […]. La nudité qu’on voit dans la pièce est davantage de l’ordre de la vulnérabilité.»

Avec une tout autre formule, Faire l’amour plongera le spectateur dans le vif du sujet en parlant littéralement de sexe, sous la forme du documentaire. Sera ainsi livré à la scène un texte de fiction inspiré de témoignages réinterprétés par Anne-Marie Olivier. «Je trouvais qu’avoir seulement ma vision de la sexualité, c’était réducteur […]. On a beaucoup cherché de quelle façon aborder ce sujet-là, finalement, ce qui nous intéresse, ce sont les histoires vraies.» Des histoires que le public gardera ensuite en tête pour y réfléchir et même les comparer avec sa propre expérience.

Choquant, le sexe?

C’est lorsqu’il est en représentation sur la scène qu’on se rend compte que le sexe est encore un tabou qui ébranle fortement le public. «Je pense qu’on a peur de l’intimité. Ce sont les choses les plus profondément intimes de notre être», note Marie-Josée Bastien. «On a toujours des résonances personnelles avec des scènes d’amour ou de sexualité: cest un cordon viscéral, du ventre au ventre.» Peut-être est-ce là, justement, l’intérêt d’un tel sujet au théâtre.

Devrait-on, dans ce cas, s’imposer certaines limites? Sur la question, tous s’entendent: absolument pas. «Ébranler, c’est le domaine du théâtre», répond Anne-Marie Olivier. «La vulgarité n’est pas toujours où l’on pense qu’elle va être.» Les limites à ce qui est permis de faire sur scène sont donc fixées par l’équipe de production dès le départ. Encore faut-il que l’acteur qui est au cœur d’une scène plus osée soit à l’aise avec sa situation. 

«Je crois que ça sera toujours quelque chose qui amènera un certain malaise», réaffirme Steve Gagnon. «Surtout lorsqu’on parle de sexualité sur scène, parce qu’on a soudainement accès, en tant que public, à quelque chose de très intime. Toutefois, malaise ne veut pas dire inapproprié. Mais il y a beaucoup de gens qui n’acceptent pas d’être dérangés.»

Puisqu’il est si intimement lié à l’amour, le sexe ne cessera probablement jamais d’être l’un des sujets les plus captivants du théâtre. Tant que le sexe fera partie de notre vie quotidienne et que notre relation à la sexualité continuera d’évoluer, on continuera d’en parler et de le célébrer sous toutes ses formes.