Le trou : Les lois du confinement
Scène

Le trou : Les lois du confinement

Après Gunshot de Lulla West (pars pas!), Eugénie Beaudry présente Le trou, deuxième volet de sa trilogie rurale. Les attachants personnages et la pertinence de cette fable sur déclin de la ruralité n’arrivent pas à masquer une certaine fragilité de l’écriture dramatique en deuxième partie.

C’est un texte modeste mais intelligent, pour lequel Eugénie Beaudry a visiblement eu le souci d’architecturer un univers signifiant qui met à profit chaque élément de la théâtralité. Pour proposer une réflexion fertile sur l’isolement des gens de la campagne, irréductibles gaulois qui choisissent de vivre dans des villages désertés et charcutés par le capitalisme sauvage, elle multiplie les symboles. L’isolement est représenté avec beaucoup d’intelligence à la fois dans l’évocation de ce village que l’on imagine minuscule et décharné, dans la maison refermée sur elle-même, pleine d’artefacts qu’on extirpe du sol, dans la paralysie du patriarche qui est enfermé dans son propre corps et dans la claustrophobie du personnage principal, Sarah-Lee.

Gagné City est une ville fictive dont l’usine de pâte et papiers a été fermée, entraînant le village dans une rapide agonie. Par opposition à l’instinct de survie et à la solidarité qui avaient suivi l’incendie ayant rasé le village quelques années plus tôt, la ville ne résiste pas cette fois à son déclin. Le capitalisme tue non seulement l’usine mais aussi la solidarité des travailleurs, qui se déclarent vaincus et plient bagages. Ne reste que la claustrophobe Sarah-Lee (touchante Edith Arvisais) et son père, ex-maire de la ville aujourd’hui paralysé dans son siège et ses excréments (Joseph Bellerose dans un rôle ingrat incarné un peu laborieusement), ainsi que l’ex-président du syndicat (émouvant Yannick Chapdelaine) et la voisine télévore qui rêve de paillettes et de country (Marianne Lamarre, une découverte). En quelques heures, pendant que Sarah-Lee s’imagine faire renaître la vitalité du village en installant dans sa maison un musée de pacotille, le destin de tous ces personnages va chavirer.

Si l’univers évoque d’emblée le confinement et l’immobilisme, la pièce s’inscrit parallèlement dans un mouvement d’ouverture, évoquant la nécessité de «sortir du trou», notamment dans l’attente du party bondé de monde que Sarah-Lee veut organiser pour l’ouverture du musée, et plus brutalement par la présence de plus assourdissante des grues qui s’apprêtent à démolir la maison, ouvrant ainsi ses murs à l’immensité du dehors. Doucement apparaîtra Pauline (Isabelle Guérard), une ancienne amie de Sarah-Lee qui appartient désormais au monde extérieur et qui aura la lourde tâche d’annoncer la destruction du bled.

Discrètement, le spectacle embrasse aussi une certaine atmosphère de fin du monde, empruntant aux codes de la fiction post-apocalyptique. Il faut le dire, cela est fort éloquent pour aborder la fin d’une certaine économie, sur laquelle le Québec a longtemps misé avec ses usines de transformation: un modèle ouvrier qui ne survit pas à la mondialisation et à la délocalisation, détruisant au passage les vies des travailleurs vieillissants.

Le personnage de Sarah-Lee est interprété très généreusement par Edith Arvisais, à travers une belle candeur et une puissante détermination, qui fait contraste avec son incapacité à sortir, à voir ailleurs ce qui se passe. Elle représente en elle-même tous les paradoxes de la vie rurale dans un monde où on ne lui accorde plus d’intérêt. Comme pour lui faire écho, dans une sorte d’asymétrie, le personnage de la voisine Johanne Simard représente le confinement et l’immobilisme d’une autre manière, à travers le désir d’ailleurs qui n’est jamais matérialisé et les rêves de célébrité inatteignables.

Mais la pièce a une structure dramatique un peu redondante et, en deuxième partie, elle pèche par excès d’explications, comme si elle voulait asséner son propos ou le marteler incessamment, de manière un peu sentencieuse. Plusieurs scènes refont à l’identique un parcours émotif déjà déployé auparavant, répétant aussi les mêmes intrigues, notamment autour de Pauline, qui est chargée d’annoncer au village sa destruction. La scène est vue d’abord à travers le point de vue de Johanne, puis elle est reprise de façon plus directe, mais cette répétition n’apporte pas grand-chose au propos et tend même à le réduire.

De même, la temporalité du spectacle n’est pas toujours claire et cela diminue la tension dramatique. Or, on voit bien que le texte cherche à construire peu à peu un climat de peur, pour évoquer la légitime crainte de la disparition de la ruralité. Mais à force d’allers-retours narratifs un peu alambiqués, cette construction est plutôt chevrotante.