Au Kunstenfestivsaldesarts de Bruxelles : 100 Bruxellois sur scène pour un portrait éclaté de la ville
Scène

Au Kunstenfestivsaldesarts de Bruxelles : 100 Bruxellois sur scène pour un portrait éclaté de la ville

Venir à Bruxelles au Kunstenfestivaldesarts, c’est fréquenter l’un des plus importants festivals d’avant-garde en Europe, dont la programmation cette année surpasse totalement celle d’Avignon. C’est aussi l’occasion d’attraper une version du projet 100% de Stefan Kaegi, qui se promène depuis quelques années de ville en ville pour mettre 100 citoyens sur scène dans de passionnants portraits de la diversité urbaine. 100% Bruxelles n’a pas déçu.

Stefan Kaegi, leader du collectif Rimini Protokoll, est le roi incontesté du théâtre documentaire en Europe. Pas de comédiens dans ses spectacles: il invite toujours sur scène le «vrai monde», pour créer un puissant sentiment de réel et rester au plus près des réalités qu’il désire radiographier. Politiques, ses spectacles questionnent la cité et l’identité en s’intéressant frontalement à la parole de différents citoyens. Les Montréalais se rappellent sans doute Mnemopark, vu au FTA en 2007: une traversée de la Suisse à travers le regard de quelques retraités passionnés de modélisme. Mais il a aussi fait Avignon remote, un déambulatoire avec casque audio qui interrogeait les mouvements collectifs dans l’espace public, et Lagos business angels, un portrait éclaté d’hommes d’affaires nigérien, ou encore Radio Muezzin, un spectacle donnant la parole à des muezzins du Caire dont le métier est mis en péril par l’utilisation d’une radio centralisée. 

La série 100% est fort ambitieuse. À Londres, Tokyo, Berlin, Vancouver, New York ou Philadelphie, Kaegi s’adjoint les services d’une équipe locale qui part à la recherche de citoyens représentatifs de la composition démographique de la ville et qui désirent monter sur scène pour répondre à des questions sur eux-mêmes et sur leurs opinions politiques, notamment. Or Bruxelles est un territoire passionnant où mener une telle enquête: l’immigration maghrébine et africaine y est importante, le français y côtoie le néerlandais et l’anglais (sans grandes tensions dans la capitale, mais tout de même), et Bruxelles abrite le siège des institutions Européennes les plus importantes, ce qui fait que parmi les participants au spectacle, on compte 23 membres d’un autre pays de l’Union Européenne. Le portrait éclaté de la ville que propose Stefan Kaegi est ainsi également un regard sur l’Europe entière, à travers lequel on peut oser une grande question: existe-t-il une chose telle que l’identité européenne?

Ils sont donc 105 Bruxellois sur scène: un groupe représentatif de la population de la ville, selon les statistiques officielles (les cinq personnes supplémentaires sont là pour représenter les sans-papiers). Des jeunes (en grande quantité puisque c’est une ville fort jeune), des vieux, des immigrants (notamment un Québécois!), des pure-laine, des Wallons, des Flamands, des enfants, des fonctionnaires, des artistes, des marginaux, des riches, des pauvres. Ils y sont tous. Sur une scène ronde, graduellement séparée en tranches invisibles, ils se déplacent pour répondre de tout leur corps à des questions sur leurs revenus, leur emploi, leur rapport à la langue, à l’identité, à la religion, à l’Union européenne, à la sécurité. La caméra qui les filme de haut montre leurs réponses comme dans un diagramme circulaire: une belle idée, même si elle s’épuise un peu en deuxième partie de ce spectacle un peu trop long. Peu à peu, ils seront invités à affirmer des préoccupations, à donner leur opinion sur des enjeux politiques, sur des questions de cohabitation urbaine et sur des des enjeux moraux.

À Bruxelles, le spectacle montre que la population est vraiment progressiste, majoritairement de gauche, et qu’elle croit dur comme fer au filet social, à la nécessité de payer des impôts. L’interculturalisme harmonieux y semble aussi relativement acquis: pas de grands remous sur la question du voile ou du droit au port des signes religieux dans l’espace public. Les réponses à certaines questions d’ordre moral sont toutefois moins consensuelles: pas d’unanimité au sujet du droit à l’adoption pour les couples gais, ni au sujet du droit à l’avortement.

Si la formule des questions à deux ou trois choix de réponses est efficace et fait de ce spectacle un objet rythmé et fluide, créant dans l’agitation un amas d’informations intellectuellement stimulantes, le spectacle rate une belle occasion de créer un véritable espace de débat. Plus le spectacle avance et plus on s’attache à cette touchante galerie humaine, plus on a envie de les entendre véritablement parler, échanger des idées, se confronter. Ils auront certes droit à quelques moments de parole, surtout pour poser des questions à leur tour, mais la formule les limite beaucoup et devient par moments un peu stérile.

N’empêche, le spectacle propose une rare occasion d’embrasser d’un seul regard un échantillon aussi représentatif de la population d’une ville, et il rappelle l’importance de la démocratie, si seulement elle pouvait s’articuler selon des formes plus directes et moins corrompues…

Le Montréalais que je suis n’a pu s’empêcher de rêver d’un 100% Montréal. La chose est coûteuse et complexe à organiser pour un festival comme notre FTA, dont la situation financière est bien plus précaire que le Kunstenfestivaldesarts. Mais je sais de source sûre qu’il y a un fort intérêt de ce côté…