Montréal Complètement Cirque: Le Monfort et le Cirque Alfonse donnent le ton du premier weekend
Montréal Complètement Cirque 2014

Montréal Complètement Cirque: Le Monfort et le Cirque Alfonse donnent le ton du premier weekend

Que les acrobaties soient au service d’un propos touchant sur l’amitié et les limites du corps ou qu’elles se déploient dans le bruit et la fureur pour faire lever le party, elles ont été au centre du festival Montréal Complètement Cirque ce weekend. Compte-rendu d’Acrobates et de Barbu foire électro-trad, qui ont donné le ton d’un festival au sommet de sa forme pour son 5e anniversaire.

Acrobates envers et contre tous

Touchant et virtuose spectacle que cet Acrobates vu à l’Usine C, un spectacle conçu par la compagnie Le Monfort et mis en scène par Stéphane Ricordel. En hommage à leur ami Fabrice Champion, acrobate devenu tétraplégique après un malheureux accident survenu en répétition, les interprètes Alexandre Fournier et Matias Pilet interrogent le corps malade mais surtout les limites de leur art par de brillants numéros de main-à-main et d’acrobaties.

Crédit: Christophe Raynaud de Lage
Crédit: Christophe Raynaud de Lage

Il s’agit d’un travail corporel précis, pétri par un propos fort, qui mène les acrobates à reproduire la mollesse du corps paralysé et l’absence de sensation dans les situations extrêmes, mais aussi le vertige d’habiter un tel corps. Corps parachutés contre les murs, projeté dans les hauteurs vertigineuses, tourneboulé sans ménagement et virevoltant de manière extrêmement fluide: les prouesses sont nombreuses et spectaculaires mais toujours au service du propos et de l’émotion, dans une tendresse masculine à laquelle le spectateur est invité à communier. L’amitié la plus sincère traverse chaque mouvement, faisant de ce spectacle une ode à ces amis qui guident nos vies et qui les traversent avec nous, dans la joie comme dans l’épreuve.

Dans une scénographie mobile, faite d’écrans et de plans inclinés qui deviennent également surfaces de projection, le spectacle puise aussi dans une démarche documentaire en intégrant des extraits vidéo et audio d’un documentaire d’Olivier Meyrou au sujet de leur ami. On y voit Fabrice Champion en réapprivoisemen de son corps, ou alors on entend sa voix résonner au milieu des acrobaties de ses comparses. Voilà qui permet un dialogue très fécond entre le travail artistique et le vécu qui l’a inspiré: une rencontre entre un réel très palpable et sa version sublimée. Très touchants, notamment lorsque sont évoqués les sentiments de Champion devant son immobilisme forcé, les extraits audio et vidéo forment une trame dramaturgique puissante, qui évoque la quête du plus-grand-que-soi et les limites du corps et de l’esprit, qui la restreignent mais jamais ne l’anéantissent.

Crédit: Christophe Raynaud de Lage
Crédit: Christophe Raynaud de Lage

 

Les barbus ont livré la marchandise

On dit, de façon bien cérémonieuse, que le Québec est la terre du cirque et que dans cette discipline, personne ne nous équivaut. Il faut bien sûr nuancer tout cela, et Montréal Complètement Cirque nous permet chaque année de constater le talent des Australiens ou des Français, qui osent bien souvent un cirque moins consensuel et peut-être artistiquement plus fécond. Mais je dois avouer que, bien que je sois fier du Cirque Eloize ou des 7 Doigts de la main, je considère le Cirque Alfonse avec davantage de déférence. Car, tout en assumant un cirque traditionnel qui n’a pas la prétention de refaire le monde, la troupe d’Antoine Carabinier Lépine est férocement inventive et sait mieux que quiconque s’approprier les codes du cirque forain pour en faire quelque chose qui leur est très personnel, très singulier, qui porte leur très forte signature. Leur attachement pour la musique traditionnelle québécoise, avec tout ce qu’elle a de festif et rassembleur, leur permet un cirque décoincé et convivial, parfois même échevelé (malgré l’abondance de poils), mais pour cette raison éminemment sympathique. C’est aussi leur capacité à ironiser, à porter par moments un regard irrévérencieux sur leur propre pratique, qui les rend si atypiques et si admirables.

Crédit : Cindy Boyce
Crédit : Cindy Boyce

Ils font, sans complexes, un cirque forain et un brin frondeur. Dans Barbu foire électro-trad, en plus de porter admirablement la barbe et les muscles de l’homme québécois rural, ils éxécutent sur une minuscule scène bordée de spectateurs des numéros périlleux en utilisant des accessoires variés dont ils réinventent les fonctions. On applaudit fort devant un impressionnant numéro sur un vélo retourné dans tous les sens, puis le numéro de lancer de barils de Francis Roberge, et à répétition devant les pyramides humaines que forment leurs corps portés les uns sur les autres avec beaucoup de puissance et autant de sueur. L’homme fort, à la manière Louis Cyr, est la figure centrale de ce spectacle qui, pourtant, n’est pas dénué d’une certaine féminité.

D’abord habillés de chemises à motifs et de noeuds papillon, les barbus se dénudent en deuxième partie pour oser un peu d’érotisme circassien, teinté de dérision. S’amusant avec les codes de la masculinité et flirtant ironiquement avec l’image du corps-objet, les barbus promènent leur dégaine de bucheron urbain en petite tenue en se déhanchant sur une musique électro-trad qui, comme de raison, mutliplie les grivoisieries. Les deux filles du spectacle leur avaient d’ailleurs ouvert la voie en fin de première partie en se faisant la lutte dans un bain de boue.

Un cabaret festif empreint de gaillardise et de camaraderie, mais surtout un univers esthétique cohérent et rassembleur, propice à mettre en lumière les talents d’acrobates et de jongleurs, mais aussi des numéros de main à main, de trapèze et de roue Cyr.

 

Ces deux spectacles sont encore à l’affiche ce soir
Acrobates à 20h à l’Usine C
Barbu foire électro-trad à 20h au Theatre Telus (18 ans et +)