Jack et le haricot magique dans les parcs de Montréal: Entrevue avec Charles Dauphinais
Scène

Jack et le haricot magique dans les parcs de Montréal: Entrevue avec Charles Dauphinais

Dans les parcs de Montréal cet été, le metteur en scène Charles Dauphinais offre sa version de Jack et le haricot magique pour les tout-petits, mais avec quelques causticités qui n’échapperont pas à leurs parents. Entrevue.

Crédit: Pierre Bourgault
Crédit: Pierre Bourgault

Jack et le haricot magique, c’est l’histoire d’un petit garçon sans-le-sou qui obtient de la part d’un vieil homme une poignée de haricots magiques en échange d’une vache et qui, grimpant la gigantesque tige qui a poussé jusqu’au ciel, y rencontre un géant à qui il dérobe un sac d’or, une poule pondeuse d’œufs dorés et une harpe magique. C’est une histoire de David contre Goliath, dans laquelle le comportement du garçon n’est pas toujours catholique, et c’est une histoire souvent vue comme une fable sur la prise des responsabilités d’un enfant devenu adulte avant l’heure. Un conte d’une grande richesse, qu’il est possible d’incarner de différentes manières. La production de La Roulotte en éclaire quelques facettes.

VOIR: Il existe plusieurs versions de ce conte qui a fait l’objet de nombreuses interprétations. Sur quelles sources avez-vous appuyé votre travail de réécriture et qu’avez-vous voulu particulièrement raconter?

Charles Dauphinais: C’est un conte oral à la base, qui s’est transmis depuis de longues années, mais pour notre adaptation, Elisabeth Sirois et moi avons évidemment commencé par défricher les premières versions écrites par Joseph Jacobs. Mais la structure ne m’intéressait pas telle quelle et on a voulu briser le principe de la répétition des voyages au ciel. Ce qui, toutefois, nous intéresse grandement dans le conte original, c’est l’idée du petit contre le grand, et la capacité de Jack à sortir de son milieu précaire, la manière dont il trouve la force d’affronter quelque chose qui est beaucoup plus grand que lui.

VOIR: Vous en faites donc une fable de l’opprimé, qui raconte et sensiiblise aux inégalités sociales?

Charles Dauphinais: En quelque sorte, oui, mais on voulait aussi explorer l’enjeu du pouvoir. Dans notre version, l’ogre est un roi, ou un tyran, qui exerce sa domination sur une population d’enfants vivant avec lui au ciel. Jack arrive à ébranler ce pouvoir en partant en guerre contre le géant et en osant remettre en question le pouvoir établi. C’est un peu Jack le révolutionnaire du mouvement Occupy, en tout cas c’est le pauvre qui cherche à rééquilibrer la répartition de la richesse. En caricaturant un peu, on peut dire que l’homme riche, dans notre version, est dépeint comme un tyran, mais pour que ça parle aux jeunes, on a aussi travaillé l’ogre pour en faire un enfant, un jeune enfant au pouvoir dans une sorte de jeu, enfant auquel Jack s’oppose parce que ses valeurs sont opposées aux siennes. Il y avait une idée aussi de refléter la diversité de la jeunesse, de montrer les rapports d’intimidation entre une forme de jeunesse et une autre, en opposant une jeunesse confiante, forte en gueule, et une jeunesse candide, plus servile.

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VOIR: Dans le conte original, les trois voyages au ciel revêtaient une dimension initiatique importante, un parcours par étapes duquel Jack ressort grandi. Qu’en est-il dans votre adaptation?

Charles Dauphinais: Il n’y a qu’un voyage, qui est tout de même caractérisé par cette dimension initiatique. Le voyage insuffle tout de même à Jack un grand sens des responsabilités et le fait devenir adulte en quelque sorte. À son retour, il prendra la famille en charge et jouera le rôle que ne remplit pas son père absent. En ce sens nous avons voulu rester proches d’une certaine interprétation psychologique du conte, qui fait de Jack un enfant plus mature que la moyenne parce qu’il doit remplacer son père au sein de la famille. Mais le fait d’éliminer deux voyages nous a permis d’ajouter des personnages que Jack rencontre là-haut et de faire quelque chose de plus grandiose que le conte original, qui est assez intimiste. Les jeunes qui sont sous le joug de l’ogre, dans notre version, sont des petites créatures qui ressemblent à celles du film Labyrinthe avec David Bowie – des créatures mi-antipathiques mi-attachantes. Certains jouets qui font partie du monde de l’ogre vont aussi s’animer. On a pris de grandes libertés parce que c’est aussi ça, le Théâtre de la Roulotte, un terrain de jeu incroyable.

VOIR: Jouer en plein-air, devant un public familial, nécessite un certain niveau de jeu et un état d’esprit particulier. Comment votre travail de mise en scène prend-il cela en compte?

Charles Dauphinais: Effectivement, ce niveau de jeu est unique à La Roulotte, de même que l’exigence de renouveler l’écoute par une mise en scène festive et ample. Il y a de la danse dans notre spectacle, et beaucoup de numéros de groupe; on a fait un travail sur le rythme, et j’ai insisté auprès des acteurs sur la précision du jeu physique. C’est un jeu typé, assez gros, car le contexte l’impose, et il y a une ampleur volontaire dans la mise en scène, de même que des emprunts au théâtre de marionnettes. J’y ajoute un peu de causticité pour les parents – parce que je suis ainsi fait. Je suis très content de la distribution – ils ont vite compris dans quel objet ils se trouvaient, dans quelle forme, et ils ont tous un esprit un peu décalé qui fonctionne bien avec les personnages.

Jack et le haricot magique sillonne les parcs de Montréal jusqu’au 24 août 2014