Fabien Cloutier et Denis Bernard / Pour réussir un poulet : Héros de leurs propres vie
Scène

Fabien Cloutier et Denis Bernard / Pour réussir un poulet : Héros de leurs propres vie

Peut-on jamais s’affranchir du milieu qui nous a vu naître pour améliorer son sort? La question est posée de tout son long dans l’œuvre entière de Fabien Cloutier, qui poursuit dans sa nouvelle pièce Pour réussir un poulet un cycle de pièces mettant en scène une parole chorale et colérique.

Après Billy (les jours de hurlement), où Fabien Cloutier croisait les voix enragées de trois personnages souvent juchés sur leurs préjugés et leur ignorance pour envisager leur prochain, voici une nouvelle pièce ancrée dans la parole sans compromis d’une galerie de personnages que la vie n’a pas épargnés. Ils sont ramasseurs de fer puis se lanceront aveuglément dans un projet de commerce d’huîtres. Posant des gestes parfois discutables, plus ou moins moralement acceptables, ils le font pourtant «par amour», comme le dit l’auteur, ou du moins par «quête de dignité», comme le dit Denis Bernard, directeur artistique de La Licorne et comédien dans la pièce. 

C’est d’ailleurs l’aboutissement de quatre ans de travail ensemble: La Licorne a accueilli Fabien Cloutier en résidence d’écriture et entretenu avec lui un dialogue constant au sujet de cette œuvre qui bénéficie aussi de la musique originale de Misteur Valaire «pour donner de l’ampleur à la parole et se mettre au service de l’épopée de ces personnages-là».

«La parole chorale est au centre de cette nouvelle pièce, dit Fabien Cloutier, mais d’une manière différente que dans Billy. Les personnages sont dans une immédiateté, dans une prise de parole qui est pensée au moment même où elle est dite, dans un discours qui n’a jamais été réfléchi d’avance et qui vient des viscères. Ces gens-là sont des héros de leur propre vie même s’ils sont losers en apparence. Il y a une puissance, je pense, dans leur manière de se raconter même si leurs drames paraissent mineurs.»

Opinant du bonnet, Denis Bernard ose le mot «épique» pour décrire cette parole particulière. «Il y a quelque chose de foncièrement tragique dans cette écriture, dit-il. Pour moi, c’est une nouvelle forme de narration, quelque chose que je n’ai pas vu souvent au théâtre. Il y a une tension extraordinaire dans cette écriture. Ces personnages, à travers leur narration, sont très dignes, même s’ils sont dans la misère, ou même s’ils sont couillons.»

Jamais, d’ailleurs, Cloutier ne les observe d’un regard méprisant même si jamais il ne les épargne. Dans un langage cru et truculent, avec parfois une certaine dureté, il ne néglige aucunes nuances. «Ces gens-là se retrouvent dans des emplois merdiques, où on les exploite, mais ils ont tout de même des aspirations; ils mènent des combats pour une vie meilleure. Je m’intéresse à la valeur de ces combats, je veux montrer la dignité et la pureté de ces petits combats, qui ont pour moi une valeur tragique et shakespearienne, et ce, même si les personnages sont condamnables, à plusieurs égards, pour les actions qu’ils mènent au quotidien.»

Ainsi, la pièce se demande jusqu’où ils pourront aller, même dans l’immoralité, pour se sortir de leur situation. Peut-on accepter qu’ils le fassent par amour et par quête de dignité? Jusqu’où peut-on leur pardonner?

«C’est aussi un show identitaire, dit Denis Bernard. Un spectacle qui cherche à nommer ce que nous sommes comme peuple, dans cette époque. Et ça, pour moi, c’est très important.»

Du 23 septembre au 1er novembre à La Licorne