Himmelweg (Chemin du ciel) / La plus grande des supercheries
Scène

Himmelweg (Chemin du ciel) / La plus grande des supercheries

Dans Himmelweg (Chemin du ciel), la metteure en scène Geneviève L. Blais investit un ancien ciné-théâtre de Villeray pour raconter, s’arrimant aux mots de l’Espagnol Juan Mayorga, l’improbable supercherie qui a montré que la vie était belle dans les camps de concentration nazis! Entrevue.

VOIR: Himmelweg est une pièce d’un auteur espagnol qui n’a encore jamais été jouée sur une scène montréalaise. Comment l’avez-vous déniché?

Geneviève L. Blais: «Juan Mayorga est un auteur espagnol, épris de philosophie et de mathématique, que j’ai découvert au gré de différentes recherches dans les dramaturgies européennes contemporaines.  Ses pièces soulèvent des questions éthiques importantes et des questions reliées à l’histoire, telle qu’elle se répercute dans l’ici-maintenant.  Ça amène des textes à la fois accessibles et très intelligents, très subtils. C’est un auteur qui joue avec les formes et les structures et la théâtralité. Il joue dans cette pièce avec les différents niveaux de narration, avec la démultiplication des événements, et c’est hyper-stimulant.»

VOIR: C’est l’histoire d’une grande supercherie, l’un des grands moments de la propagande nazie. Qu’est-ce qui vous intéresse dans l’idée du mensonge et de l’illusion que cette pièce décortique?

G.L.B: La pièce s’inspire d’une visite faite par un délégué de la Croix-Rouge dans un camp de concentration qui avait été transformé en petit village sympathique et tissé serré, pour faire croire que les camps juifs étaient une bonne chose, une nécessité. Reconstituer un village dans un camp, c’était une entreprise colossale et tout, dans cette mise en scène, était réglé au quart de tour: l’heure à laquelle sonnent les cloches de l’église, la reconstitution du match de football, les figurants qui passent à bicyclette au bon moment, l’orchestre dans le parc, l’opérette pour enfants. C’était une opération complètement démesurée, qui a vraiment laissé croire que tout ce qui passait dans les camps était proprement génial et bienveillant. Cette fabrication de mensonge et d’illusions me fascine. Quand on fait du théâtre, on se convainc de la pertinence de ce qu’on fait en pensant qu’on crée de l’illusion pour se mettre au service de grandes et belles idées. Mais cette expérience montre que la fabrication du mensonge théâtral peut aussi être au service de l’atrocité. C’est troublant de constater cette perversion du langage théâtral, et ce n’est pas typique de la Deuxième Guerre mondiale: le monde actuel continue d’utiliser les artifices de la scène et de l’image pour faire passer des messages qui ne sont pas toujours humanistes – en politique mais aussi en marketing.»

VOIR: Croyez-vous que tous les participants à cette machination étaient endoctrinés au point d’y contribuer volontairement? De quelle manière la pièce explore-t-elle la troublante question de l’asservissement?

G.L.B: «Dans la pièce, tous les personnages qui participent à la machination ont au départ de très bonnes intentions mais ils deviennent au service de cette escroquerie quasi- imperceptiblement. Il y a toujours une ambiguïté dans leur position. Je m’intéresse beaucoup, à travers cela, à la question de la fabrication de soi, aux mécanismes illusionnistes qu’on utilise tous pour se construire une image socialement prestigieuse ou pour arriver à nos fins. Quels sont les jeux auxquels on prend part? Quels sont les rôles dans lesquels on s’inscrit contre notre gré et dont les conséquences peuvent être horrifiantes? Jusqu’à quel point avons-nous le contrôle des rôles que nous jouons au quotidien, dans le grand mécanisme des interactions sociales? Ce sont toutes des questions passionnantes.»

VOIR: Le spectacle est présenté sous la forme d’un déambulatoire pour faire écho au parcours du délégué de la Croix-Rouge. Quel effet théâtral cherchez-vous à créer à travers cette forme?

G.L.B: «Mayorca travaille beaucoup sur les jeux de perspectives et de points de vue, à travers un bouleversement de la temporalité. La fameuse visite ne sera jamais représentée en tant que telle: on assiste plutôt à l’avant, à l’après, et à des réflexions et témoignages à son sujet.  Mon envie a été de mettre le spectateur dans cette position vertigineuse, au centre de différents regards et différentes perceptions. Il y a aussi quelque chose de l’ordre de la sensation, avec des odeurs, des lumières, des perceptions différentes de l’espace. Ça fait aussi à certains moments du spectateur un participant à la machination, ce qui devrait accentuer le trouble.»

VOIR: Pourquoi avoir choisi le Ciné-Théâtre Le Château?

G.L.B: «Je n’avais pas envie de recréer un faux camp de concentration alors l’idée de jouer avec les codes de la théâtralité s’est imposée, pour faire écho au thème de l’illusion qui parcourt la pièce.  Le Ciné-Théâtre Le Château a été construit avant la 2e guerre et il est figé à cette époque, n’ayant jamais été rénové. Puisque la pièce offre des allers-retours entre l’époque de la guerre et l’ici-maintenant, le lieu nous a semblé permettre ce voyage mental.»

 

Jusqu’au 5 octobre au Ciné-Théâtre Le Château

6956, rue Saint-Denis, Montréal