Talia Hallmona / Moi et l'autre : Étrangère en son pays
Scène

Talia Hallmona / Moi et l’autre : Étrangère en son pays

D’origine égyptienne et vivant au Québec depuis l’enfance, Talia Hallmona raconte son vertige identitaire dans la pièce Moi et l’autre. Dans l’air du temps, mais unique en son genre.

Difficile de ne pas comparer la démarche de Talia Hallmona à celle de Mani Soleymanlou, dont le spectacle Trois, interrogeant le vertige d’être un Irano-Québécois, viendra à peine de quitter l’affiche du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui quand la comédienne québécoise d’origine égyptienne accueillera ses premiers spectateurs aux Écuries. Avant eux, dans un spectacle modeste qui a tout de même fait son bout de chemin sur plusieurs scènes, Mireille Tawfik a ouvert la voie avec un solo intitulé Marche comme une Égyptienne. Bref, dans un Québec s’interrogeant de plus en plus sur l’intégration de ses immigrants, le théâtre se fait de plus en plus le lieu de témoignages et de réflexions sur une identité plurielle, complexe et souvent conflictuelle… 

Hallmona, née en Égypte mais ayant vécu la majorité de sa vie à Montréal, est intégrée au point de surprendre ses interlocuteurs quand elle évoque ses origines non québécoises. Elle n’en est pas moins troublée par les croisements identitaires qui la définissent.

Reconnaissons-nous l’autre pour ce qu’il nous donne ou ce qu’il nous prend? La question parcourt son spectacle, coécrit avec Pascal Brullemans. «C’est l’une des premières phrases du texte, explique-t-elle. La pièce provoque la rencontre entre deux personnages (l’autre étant joué par Marie-Ève Trudel), qui n’en font qu’un à certains moments, et c’est autour de cette question-là que se situe leur dialogue entre deux cultures, entre deux mentalités. Se sent-on plus menacé par l’autre qu’invité par l’autre? Je pense que la réponse se situe quelque part au milieu.»

Ce qui est clair, toutefois, aux yeux de Talia Hallmona, c’est que c’est dans ces allers-retours entre offrande de soi et accueil de la culture de l’autre que se trouve la clé d’une intégration réussie. «Si je compare avec la France, où la situation de l’immigration est très explosive, il est clair que la situation québécoise est plus harmonieuse. Je pense que les Québécois "pure laine" sont eux-mêmes comme des immigrants, à cause de leur fêlure identitaire, qui a des racines dans l’Histoire et dans le territoire. L’écartèlement que je ressens en tant qu’immigrante est vécu à différents degrés par tous les Québécois. Mais ça ne m’empêche pas de continuer à me sentir étrangère sur ce territoire.»

Et comme la plupart des immigrants dont le pays d’origine est baigné d’une forte culture religieuse et ancré dans un mode de vie traditionnel, Talia Hallmona ne se reconnaît pas plus dans l’Égypte actuelle. Elle a bien sûr sympathisé avec les soulèvements récents de la jeunesse, mais impossible pour elle de s’imaginer en faire partie. «Si je retourne en Égypte, que vais-je faire? Taper sur une casserole? Il y a un stade d’intégration au Québec qui fait en sorte que le retour en arrière est impossible. Juste le rapport avec la liberté féminine que me permet le Québec, qui me permet de faire du théâtre librement, fait en sorte que je ne peux pas trouver de point de rencontre avec l’Égypte d’aujourd’hui autrement que dans la position de l’Étrangère, de l’Occidentale.»

Étrangère un jour, étrangère toujours…

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Du 28 octobre au 28 novembre aux Écuries