Circa / Entrevue avec Yaron Lifschitz : Chostakovitch l'acrobate
Scène

Circa / Entrevue avec Yaron Lifschitz : Chostakovitch l’acrobate

La compagnie australienne Circa, chef de fil d’un cirque contemporain poétique et inspirant, est à nouveau en ville. Le directeur artistique Yaron Lifschitz raconte comment le spectacle Opus donne à voir Chostakovitch par l’acrobatie, en collaboration avec le quatuor Debussy.

Depuis que les Montréalais ont vu Wunderkammer en 2011 et sont laissés prendre au jeu du cirque sexy et athlétique de Circa, chaque passage de la compagnie australienne est ici hautement célébré. La musique, centrale dans le travail du directeur artistique Yaron Lifschitz, est à la source de multiples déconstructions acrobatiques et de divins mouvements athlétiques dans Opus, une pièce pour 14 interprètes, sur la musique en direct du quatuor Debussy.

«J’ai un rapport très intense avec Chostakovitch, explique Yaron Lifschitz. Émotionnellement et cérébralement, il me stimule en tous points. Pour les besoins de Circa, je trouvais qu’il était le compositeur ayant le plus haut degré de virtuosité et de technicité mais aussi la plus grande vibration émotive. C’est un matériel parfait pour le cirque acrobatique, pour travailler des corps virtuoses tout en cherchant à faire apparaître l’émotion. En plein milieu d’une fugue très complexe et très technique, il y a soudain une envolée très cinématographique et j’aime profondément ces ruptures: je trouve que ça crée une musique qui parle directement au cœur. L’intelligence et le haut degré d’abstraction de la musique ne se déploient jamais au détriment de sa force émotionnelle.»

Comblé d’avoir trouvé en les membres du quatuor Debussy une équipe de musiciens chevronnés, virtuoses mais surtout «aventuriers», Yaron Lifschitz se réjouit particulièrement du fait que le quatuor français «aime dépasser ses limites, décadrer son art pour aller voir ailleurs s’il y est.»

Avec eux, il explore comment, chez Chostakovitch, «la rage et la force se manifestent dans le même mouvement que la tragédie ou la vulnérabilité, avant de se transformer en vagues d’optimisme». «C’est une partition un peu disloquée, poursuit-il, qui évolue sur le fil du rasoir, flirtant avec les points les plus vifs de l’émotion autant qu’avec les évocations les plus subtiles. Chostakovitch, pour moi, est un grand poète de la musique.»
 

 

Ce qui différencie CIRCA de plusieurs compagnies de cirque, d’ailleurs, est ce mélange unique de technicité et de poésie, qui permet à la troupe d’inventer des spectacles imagés, atmosphériques, qui échappent à la logique de l’enchaînement de numéros circassiens virtuoses. «Nous ne sommes pas intéressés par le spectaculaire, explique Lifschitz, et nous ne cherchons pas simplement à ravir l’œil: il s’agit vraiment de tirer profit de la virtuosité de nos artistes pour faire de la poésie. On déconstruit l’acrobatie pour en faire un langage fluide, en phase avec la musique.»

Il y a 14 interprètes sur scène, pour donner un effet de collectivité. « C’est beaucoup pour notre compagnie, dit le metteur en scène. On a commencé a 7, mais ça ne faisait pas honneur à la musique, qui est trop dense, trop ample pour se contenter d’un petit groupe d’acrobates. Cette partition nécessitait un bataillon plus imposant. L’effet de groupe nous permet notamment de jouer avec les notions d’individualité et de collectif, de jongler avec un propos sur les contrastes entre vie privée et publique, intimité et politique. »
 

Jusqu’au 26 novembre à la Tohu