Les chiens de Navarre / Quand je pense que nous allons vieillir ensemble : «Laboure l'espace avec tes ovaires»
Scène

Les chiens de Navarre / Quand je pense que nous allons vieillir ensemble : «Laboure l’espace avec tes ovaires»

Hilarant, cruel, incisif, mais surtout lucide et doué: le collectif français Les Chiens de Navarre visite Montréal pour la toute première fois et son spectacle punk-féroce-burlesque Quand je pense qu’on va vieillir ensemble est un morceau abrasif sur l’hypocrisie et le couple en déroute.

En France, les Chiens font un tabac depuis des années avec leur théâtre nourri d’improvisation et d’impertinence, mais aussi servi par une redoutable intelligence et une indéniable capacité à révéler – ou à distordre – les mécanismes humains de socialisation. Ils se moquent de tout et de tout le monde, cultivant aussi l’art de ne pas se prendre au sérieux. Aussi féroces que potaches, les Chiens sont caustiques et surtout hilarants.

L’entrée en matière du spectacle est pour le moins tonitruante. Sur les trompettes de Maurice Jarre, bien connues par les théâtrophiles qui fréquentent le festival d’Avignon, les 8 acteurs fardés en zombies sanguinolents s’adonnent à une bruyante compétition de pétanque. Le ton est donné: tout le sérieux codifié d’un prestigieux festival de théâtre contemporain est détourné au profit d’une scène aussi étrange que macabre et sportive. Sans compter qu’elle rappelle l’ouverture d’un spectacle de Vincent Macaigne, Au moins j’aurai laissé un beau cadavre, qui a enflammé la critique lors de l’édition 2011 du festival. Hommage au travail adoubé de Macaigne ou dénonciation des extravagances avignonnaises? Sans doute un peu des deux. Les Chiens s’amuseront d’ailleurs tout du long avec les conventions théâtrales comme avec les conventions sociales. Ils sont d’incisifs pervertisseurs de l’ordre établi.

Quand je pense qu’on va vieillir ensemble est une pièce hybride qui va dans plusieurs directions: dissection du couple, méditations sur le langage et ses revers, exploration de différentes relations de pouvoir, déconstruction de mythes et d’archétypes. Mais la colonne vertébrale du spectacle repose sur une constante ironie autour de la thérapie de groupe, de la psychopop et du ton faussement compassionnel qui vient avec, lesquels sont détournés vers une cruauté à peine masqués sous les sourires affectés. Dans l’improbable groupe de soutien inventé par les Chiens, la relation d’aide n’est bien souvent qu’une manière de se remonter le moral en abaissant les autres. Avec une divine insolence, les Chiens soulignent l’hypocrisie d’une société où tout le monde est obsédé par sa santé mentale et dans laquelle personne ne semble savoir qu’en faire. Ils mettent le doigt, avec une clairvoyance aussi précise que ludique, sur un univers de faussetés psychologiques à la popularité grandissante mais aux effets caduques.

Il s’agit aussi de se moquer d’une société sans repères où, à défaut d’être motivé par un système de valeurs clair, les gens se vouent à tous les saints et cherchent des outils improbables pour affronter un monde ambigu. Dans une hilarante scène de groupe de soutien à l’emploi sont mises en relief l’absurdité de certaines convenances sociales et des rôles d’autorité que chacun joue, mais aussi les incompréhensions causées par le langage, par les lois malmenées de la conversation.

Plus tard, les chiens ironisent encore autour de la langue: abus de néologismes, perversion du langage, dépersonnalisation de la langue par un excès de politiquement correct ou par une quête d’originalité qui frôle le ridicule. La «thérapie» devient ainsi subtilement «baignade» ou «immersion». Le collectif s’amuse aussi de la prétention dans laquelle le langage permet parfois de s’enrôler: la syntaxe et la grammaire apparaissant comme des manières de contrôler l’autre, de l’écraser ou le dominer. Tout cela est mis en relief à partir d’un ton joyeux et burlesque. On n’en finit plus de se marrer.

Les codes de la séduction sont aussi mis en pièces, détournés et pervertis, comme le seront plus tard les stéréotypes hommes/femmes ou les exigences et contraintes d’appartenance à un genre,  jusqu’à une jouissive (bien qu’hyper-puérile) déconstruction de l’univers des contes de fée.

La répétition est aussi l’une des armes des Chiens de Navarre: elle sert à enclencher un processus comique de révélation d’une humanité désorientée. Ils savent également aménager des moments d’onirisme  et de pulsions, resserrant alors le cadre sur des couples torturés (notamment lors d’une scène parodiant la fameuse séquence de la voiture dans Nous ne vieillirons pas ensemble, de Maurice Pialat). Dans ces moments où le groupe laisse place à un duo, l’humain évolue en parallèle du chien, ne se distinguant que très peu de son animalité, mais là triomphe tout de même une certaine beauté dans l’union des corps. Ils font la preuve qu’on peut être outrecuidant et poétique tout à la fois.

Jusqu’au 27 novembre à l’Usine C