2014 / Top 5 Théâtre des spectacles internationaux vus à Montréal
On emballe 2014: La langue rapaillée, idées cadeaux et coups de cœur

2014 / Top 5 Théâtre des spectacles internationaux vus à Montréal

En arts de la scène, Montréal a longtemps été isolée du reste du monde, mais grâce au FTA et à des lieux comme l’Usine C, La Chapelle ou Espace Libre, une partie de la création internationale de haut niveau (mais surtout européenne) atteint désormais nos scènes. Regard sur 5 brillants spectacles venus d’ailleurs en 2014.

Hate Radio

De Milo Rau (Suisse) / Vu en mai au Théâtre Prospero dans le cadre du FTA

Troublante reconstitution d’une émission-type de la radio génocidaire des Mille Collines au Rwanda, Hate Radio questionne les mécanismes de la fabrication d’un discours haineux. Le metteur en scène suisse Milo Rau fait ici, fidèle à son habitude, un passionnant travail de re-enactement (ou esthétique de la reconstitution). Un théâtre hyperréaliste aux relents documentaires, qui a fait résonner, en français et en kinyarwanda, les mots fatidiques qui ont plongé le Rwanda dans la terreur en 1994. Montrant de manière bouleversante la manière dont les discours d’intolérance se camouflent dans un langage sexy et accrocheur, la pièce fait réfléchir aux dangers d’une telle parole, aujourd’hui encore beaucoup entendue dans la bouche d’une certaine droite populiste.

À relire : notre entrevue avec Milo Rau

 

Les particules élémentaires

De Julien Gosselin (France), d’après Michel Houellebecq / Vu en juin au Théâtre Maisonneuve dans le cadre du FTA

Ce fut événementiel. La mise en scène du jeune Julien Gosselin, nouveau metteur en scène prodige adoubé par la scène française, fait honneur à l’écriture de Houellebecq avec son esthétique mi-concert pop mi-théâtre filmé, qui met à profit la musique, la vidéo, le surtitrage et les voix amplifiées pour créer un très efficace dispositif de narration. Sont abordés de front le regard unique de Houellebecq sur la misère sexuelle, ses habiles entrelacements de concepts scientifiques et de réflexions sur les relations humaines et, surtout, sa traversée lucide de l’histoire des mouvements culturels français et de leur individualisme insidieux, de l’hédonisme de Mai 68 jusqu’aux meurtres en série des années 1990.

À relire : La critique de Julie Ledoux

Relire aussi notre entrevue avec Julien Gosselin 

Et la critique du spectacle lorsque nous l’avons vu au Festival d’Avignon en 2013

 

Face au mur

De Martin Crimp, mise en scène Hubert Colas (France) / Vu à l’Usine C  en janvier

FACE AU MUR – Teaser / Friche la Belle de Mai 16 Janvier 2014 from Hubert Colas on Vimeo.

Dévoilant par petites touches un monde d’insécurité et de méfiance, le brillant Martin Crimp gratte le vernis social jusqu’à la moelle dans trois courtes pièces réunies par Hubert Colas sous le titre Face au mur. Le metteur en scène marseillais sait révéler chaque nuance de cette écriture ciselée et vertigineuse. Colas est de cette école, très française, du théâtre mental. C’est-à-dire qu’il crée un théâtre obsédé par le langage et par ses plus profondes ramifications, un théâtre de la pensée proférée dans lequel la parole jaillit en conservant plus ou moins le rythme hachuré par lequel elle s’est d’abord construite dans l’esprit. Passionnante, la parole ainsi énoncée dévoile sans filtre les tourments de l’âme humaine et les mystères de la perception du réel.

Relire notre critique complète

 

Pourquoi Eve vient chez Adam ce soir

D’Anja Tillberg (Belgique) /  Vu à l’Usine C en octobre dans le cadre du festival Actoral

Suivant les traces de Tarkovski (Stalker), cette étonnante pièce imagine un lieu fermé dans lequel surgit un personnage dont la présence irréelle et la richesse d’esprit sont propices à la révélation d’un foisonnant monde caché : une déflagration mentale qui se déroule ici par la parole, sur un ton posé et philosophique, entre une femme et un homme naviguant entre réalité et monde onirique. Dans une magnifique scénographie vitrée rehaussée par de savants jeux de lumière, le spectacle questionne la perception du réel et le sens de nos vies dans un monde où la multiplication des possibles est vertigineuse. Obsédé par la trace qu’il laisse dans ce monde saturé, le personnage principal interprété par Sylvain Daï est en pleine discussion avec la mort et avec les fantômes. Un spectacle aux couches de sens infinies.

 

Germinal

D’Antoine Defoort et Halory Goerger (France, Belgique) / Vu en mai à la Maison Théâtre, dans le cadre du FTA

Voici une pièce aussi intelligente qu’hilarante, qui réinvente le monde avec un humour décalé et déconcertant. D’abord allégorie du fonctionnement du langage et de la communication, le spectacle épuise toutes les possibilités d’un simple micro et d’une petite console d’éclairage, installant un étrange processus communicationnel. Dans un mélange de candeur et de dialectique, ils racontent la genèse de l’humanité à partir de tous nouveaux paramètres, tout en dévoilant les mécanismes du raisonnement humain. Jusqu’à une finale en forme de comédie musicale nouveau genre, où règne non pas le trémolo mais bien «une succession d’événements de cohérence spatiotemporelle». On en redemande.

À relire : notre entrevue avec Antoine Defoort