Les dévoilements simples (Strip-tease) : Nudité bucolique
Scène

Les dévoilements simples (Strip-tease) : Nudité bucolique

Le prometteur metteur en scène Félix-Antoine Boutin poursuit sa quête d’un langage plastique et performatif singulier avec Les dévoilements simples, un spectacle sympathique qui s’amuse avec les codes du striptease, dénudant les corps dans la simplicité et le ludisme. Un spectacle de nudité bucolique.

Félix-Antoine Boutin fait ses premières armes comme metteur en scène mais, déjà, cet artiste aussi productif qu’inspiré développe une signature singulière, qu’il fait plaisir d’observer évoluer. S’intéressant à la notion de rituel, tentant de favoriser un jeu d’acteur «performatif» et manipulant les symboles d’animalité et de troupeau avec un ludisme renouvelé, il propose cette fois un spectacle léger dans lequel, en une petite heure bien serrée, défilent des corps nus sous des éclairages soignés, dans des mises en scène variées et la plupart du temps bucoliques, rythmées par le piano de Jean-Sébastien Bach (les Variations Goldberg).

On reconnaît dans cette pièce sans prétention, la plupart du temps assez divertissante et sexy, une approche plastique et performative qui est chère à Boutin. C’est une succession de tableaux à la composition picturale soignée, sur un lit de verdure éclairé chaleureusement: le metteur en scène flirte avec l’esthétique des toiles bucoliques des 18e  et 19e siècles, dans une tonalité légère et lyrique. On a l’impression d’atterrir dans l’une des plus lumineuses toiles d’Antoine Watteau, ou dans l’un des nus de Gustave Courbet, mais passés au tamis de notre époque, avec une crudité supplémentaire et un mixage plus assumé des corps féminins et masculins.

Dustin Segura Suarez dans Les dévoilements simples / Crédit Nans Bortuzzo
Dustin Segura Suarez dans Les dévoilements simples / Crédit Nans Bortuzzo

Quelque chose de pur s’en dégage: comme dans un tableau racontant la genèse de l’humanité, ou le rapport vif et naturel de l’humain avec son environnement et avec lui-même. Au fil de la succession des tableaux, les corps se dépouilleront de leurs apparats et les muscles comme les sexes seront exposés sans pudeur, mais le dévoilement repose toujours sur la simplicité, l’intimité, la vulnérabilité, pas sur les codes du striptease de cabaret, jamais sur la lascivité du corps nu. C’est beau. À la fois esthétiquement léché et hyper-léger, pour ne pas dire candide.

Il y aura fraternité des corps, dans des tableaux de groupe où les acteurs se touchent délicatement en se souriant: le corps y est enveloppe charnelle dont il faut prendre soin, qu’il faut découvrir petit à petit, caresser doucement. Il y aura, de manière générale, exploration du rapport libre entre le corps nu et la nature. Les corps se roulent dans la verdure; les sexes se laissent découvrir par une bourrasque de vent qui soulève les jupes;  les pieds nus se lancent dans un match de soccer improvisé avec une pomme de pin.

Boutin explore aussi le rapport entre nature et culture, cultivant le choc entre la nudité et les artifices du monde civilisé, par des déshabillages appuyés où le poids du monde social se lit dans le vêtement qu’on enlève doucement ou maladroitement. Le thème traverse entièrement le spectacle, très simplement (peut-être trop), sans arriver à approfondir (ce qui est un peu regrettable) mais dans des évocations tout de même éloquentes.

Crédit: Nans Bortuzzo
Crédit: Nans Bortuzzo

Tantôt le corps nu s’offre au regard d’une tortue (vivante), tantôt il danse devant un ours à la gueule ouverte, tantôt il se compare à un poisson visqueux : le spectacle tisse aussi un réseau de symboles animaliers, réfléchissant sans en avoir l’air à l’animalité primitive de l’humain. Mais une animalité ludique, jamais bestiale ou agressive.

Plasticien avant tout, Félix-Antoine Boutin orchestre son ballet nudiste devant et derrière une vitre qui, parfois, laisse voir des corps légèrement déformés, d’autres fois sublimés . Le rapport de l’acteur avec son image, dans cette vulnérabilité refletée, est saisissant. À travers cette vitre déformante, le comédien perd le contrôle de son image, observe les multiples possibilités de regard sur lui, s’aperçoit des différentes perspectives selon lesquelles son corps peut-être perçu. Un jeu de miroirs stimulant, qui n’est d’ailleurs peut-être pas assez exploité.

L’expérience est ainsi avant tout visuelle: un théâtre de l’image qui mise avant tout sur la présence de l’acteur et sur son inscription précise dans un espace symbolique. Parce que souvent trop rapide, la succession des scénettes peut donner l’impression d’un manque de profondeur. Les images puisent aussi dans un certain universalisme qui aurait gagné à être déconstruit, décortiqué, complexifié. Mais il y a suffisamment de pistes, dans ce ballet de tableaux vivants, pour tisser un réseau de sens cohérent et se questionner (inévitablement) sur son propre rapport à la nudité.

Jusqu’au 14 février au Théâtre La Chapelle
Crédit: Nans Bortuzzo
Crédit: Nans Bortuzzo