Olivier Choinière / Ennemi public : Polyphonie familiale
Scène

Olivier Choinière / Ennemi public : Polyphonie familiale

Ancrée dans l’actualité brûlante d’un Québec qui va mal, la nouvelle pièce d’Olivier Choinière orchestre les discussions d’une famille bavarde qui, pourtant, ne sait pas discuter. Ennemi public interroge notre tendance à chercher des coupables sans identifier les problèmes.

Il y a la mère, le père, leurs enfants, leurs petits-enfants, réunis à table dans un repas de famille agité, où chacun tire sur son bout de nappe dans l’espoir d’avoir raison au sujet de la déliquescence de Radio-Canada ou de la responsabilité criminelle de Luka Rocco Magnotta, entres autres sujets. Olivier Choinière se plaît dans cette pièce tissée d’humour noir à entremêler les répliques et à superposer les propos à coups de raccourcis intellectuels et d’indignations ordinaires. Une polyphonie qui sonnera familière à la plupart des oreilles et à travers laquelle, sans en avoir l’air, l’auteur installe doucement des répétitions et récurrences, montrant l’incapacité du débat social. Un peu comme il l’avait fait dans Chante avec moi, son spectacle chanté et dansé reposant sur la répétition d’un refrain de plus en plus aliénant, Choinière aménage une critique sociale par petites touches, de manière insidieuse et ludique. 

«C’est une famille, dit-il, dont les discussions visent toujours inconsciemment à chercher un coupable, une personne à abhorrer, pour éviter de discuter avec complexité de sociopolitique et pour éviter les réels débats. Ils sont incapables de sortir de la dynamique manichéenne du pour et du contre, incapables de naviguer dans les zones de gris, ni de s’inclure dans le problème: ils cherchent des coupables partout ailleurs que dans un véritable regard sur les situations touchant leur société.»

Si la pièce ne prétend pas trouver l’origine de ce problème de discussion, «qui n’est peut-être pas strictement québécois ni strictement actuel», elle cherche à identifier à quel point la course à l’ennemi public s’est récemment accentuée. «Chaque jour, dit Choinière, l’actualité nous pousse à identifier de nouveaux ennemis, que ce soit le chef de la mafia ou l’animatrice Catherine Perrin. Tout y passe.»

Olivier Choinière en répétition, dirigeant les comédiens Muriel Dutil et Steve Laplante
Olivier Choinière en répétition, dirigeant les comédiens Muriel Dutil et Steve Laplante

 

D’apparence naturaliste, pour ne pas dire hyperréaliste, le nouvel opus de Choinière cache derrière cette impression de naturel une structure formelle précise, un travail sur la musicalité du dialogue, à travers un enchevêtrement polyphonique des répliques. «J’ai été sensible aux jeux de répétition, entre autres, et aux changements de perspectives. Avec les acteurs, on a d’abord attaqué le travail par la partition musicale, travaillant le texte comme une série de solos, de duos et de quatuors, pour finalement aller dans l’intention, dans le contenu politique, mais en prenant toujours le chemin de l’intime. C’est une discussion intime qui a des ressorts politiques, lesquels apparaissent graduellement, et de manière organique et naturelle. Du moins, je le souhaite.»

Une récurrence de références à l’animalité, à travers la figure du rat et de l’écureuil, met aussi en lumière une forme d’animalité du dialogue, ou plutôt, comme le dit Choinière, «une chaîne animale de laquelle les personnages sont partie prenante». «L’idée est de parcourir tous les éléments de ce cycle pour y voir la réalité dans sa complexité, pour fuir le piège dans lequel tombent mes personnages et dans lequel je tombe moi-même tout le temps.»

 

Au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui du 24 février au 21 mars