Les fées ont soif / Caroline Binet : Quand la scène montréalaise incarne le renouveau féministe
Scène

Les fées ont soif / Caroline Binet : Quand la scène montréalaise incarne le renouveau féministe

Au sein du Théâtre du Lys Bleu, la metteure en scène Caroline Binet propose une nouvelle mise en scène des Fées ont soif, légendaire pièce de Denise Boucher sur une société castrante pour les femmes. Après la production du Théâtre de la Bordée, à Québec, il semble qu’il y ait une conjoncture favorable aux relectures de cette pièce controversée de 1978. Entrevue.

Le féminisme québécois est alimenté par une nouvelle soif de prise de parole, c’est indéniable, dans les médias comme sur scène. Les artistes de théâtre de Montréal et Québec ont exploré la chose de différentes manières ces derniers-mois, et le mouvement ne semble pas près de s’essouffler. C’est ainsi la deuxième fois cette année que les spectateurs de théâtre québécois, d’un côté ou de l’autre de l’autoroute 20, ont la possibilité de redécouvrir Les fées ont soif, classique québécois de Denise Boucher qui a suscité l’ire des groupes catholiques en 1978 au TNM à cause de représentation de la Vierge Marie.

«Il y a peut-être en effet une forme de nouveau féminisme en cours, dit la metteure en scène Caroline Binet. Une forme de mutation, qui permet aujourd’hui la réémergence de ce type de parole. Je sens un besoin de parler de ça, de réactualiser la parole féministe au théâtre, et de le faire de manière affirmée.»

Mais comment se fait-il que Les fées ont soif, qui montre le carcan social dans lequel étaient emprisonnées les femmes d’un Québec dominé par le clergé catholique, paraisse apte à témoigner du monde actuel en quête de laïcité? «La société québécoise s’est débarrassée de l’emprise catholique et de la vision réductrice de la femme qui y était associée, explique la metteure en scène, et le personnage de la Sainte-Vierge qui veut se libérer des contraintes religieuses et des images féminines imposées par l’Eglise peut donc sembler décalé. Mais comme notre société vit un retour du religieux à travers le pluralisme social, la pièce de Denise Boucher prend aujourd’hui un nouvel éclairage. Il y a d’une part, une volonté de respecter la foi et le droit à la liberté de religion de nos concitoyens mais d’autre part une crainte de retourner en arrière dans le rapport avec le féminin. Denise Boucher explore cet enjeu du féminin religieux à travers un archétype, une image fixe, celle de la Statue de Marie, mais théâtralement cette image a encore un fort pouvoir.»

La Mère, la Putain et la Vierge, figures archétypales mises en tension dans la pièce de Denise Boucher, définissent peut-être encore la femme moderne, même si de manière différente. Dans la figure de la Mère, par exemple, Caroline Binet analyse que se cristallisent notamment la course à la performance, l’exigence de perfection exercée sur les femmes, «qui doivent être bonnes au travail, bonnes à la maison, bonnes au lit, et qui ont peur de ne pas répondre aux exigences».

Denise Boucher, d’ailleurs, a été proche du projet. «J’aime beaucoup travailler avec les auteurs, quand on a la chance qu’ils soient encore vivants. Pour Denise, qui a 80 ans mais qui demeure une observatrice vive de sa société, la statue représenterait aujourd’hui, davantage que la Vierge Marie, une incarnation de la tyrannie de l’image lisse et plastifiée de la femme – celle que louangent les magazines féminins. C’est aussi la pression de se mettre en scène, de jouer dans la vie un rôle très défini, d’où rien ne dépasse.»

«Au-delà du propos, poursuit-elle, c’est la langue extraordinaire qui m’a amenée vers cette pièce. La beauté de l’œuvre de Denise réside dans sa poésie, et aussi dans la contrainte de non-réalisme qu’elle contient. Les fées ont soif, c’est un enchaînement de dialogues et de chants, une pièce qui décolle du réalisme pour aller vers quelque chose de plus grand. Il y a une grande poésie quand les femmes prennent parole de manière chorale, dans le lieu central d’où elles s’expriment à l’unisson. Il y a un rythme scandé dans ces séquences, qui rapproche ce texte de la mythologie, qui lui donne des résonnances tragiques. Pour Denise Boucher, les personnages des Fées ont soif sont comme des déesses grecques.»

Avec les comédiennes Eve Gadouas, Marie-Eve Bélanger et Marilyn Bastien, la metteure en scène promet de faire résonner cette dimension tragique et, également,  de «donne une forte incarnation aux deux registres de langage qui se confrontent dans cette pièce, d’une langue plus quotidienne jusqu’à une langue plus ample.»

1$ par billet sera remis à La Rue des Femmes, organisme qui vient en aide aux itinérantes.

Jusqu’au 28 février à la Balustrade du Monument-National