Débris : Accident de parcours
Scène

Débris : Accident de parcours

Pièce réaliste de l’auteure irlandaise Ursula Rani Sarma, qui tente de proposer une fable coup-de-poing sur le pouvoir de l’art,  Débris n’évite pas les clichés avec ses personnages trop stéréotypés pour être vrais, dans la mise en scène souvent inutilement emphatique de Claude Desrosiers.

La Licorne, à force de frayer avec les dramaturgies britanniques les plus percutantes (celles de Dennis Kelly ou de Mark O’Rowe) a développé une expertise assurée dans ce type de théâtre qui s’inscrit dans les suites du théâtre in-yer-face ou qu’on peut vaguement définir comme un théâtre de «réalisme social». L’équipe de La Manufacture sait non seulement dénicher les meilleurs textes, mais elle sait leur donner des incarnations scéniques qui, sans être portées par des grandes idées de mise en scène, sont articulées autour d’un jeu hyper-tendu et explosif, qui fait toujours mouche dans un cocktail d’émotion et d’intelligence sociale. Or, la production actuelle de la pièce Débris n’atteint pas l‘ombre de la virtuosité à laquelle le théâtre de la rue Papineau nous a habitués.

Le texte, même s’il lance des pistes prometteuses, se réduit trop souvent à des personnages schématisés auquel on ne croit pas. La mise en scène, à la recherche d’une émotion facile, prend trop souvent les situations au pied de la lettre en commandant aux acteurs un jeu trop affecté. Dommage.

Il y a pourtant, dans ce texte d’Ursula Rani Sarma, des ingrédients propices à causer le trouble attendu. Danny (Maxime Denommée) est le seul survivant s’étant sorti physiquement indemne d’un accident d’autobus qui ne cesse de hanter sa conscience malmenée. Habité par le trauma et la culpabilité, il se lance dans une démarche artistique de réhabilitation, plongeant dans les ténèbres de l’accident pour en faire une œuvre controversée.  Ses rencontres avec son psychiatre (Roger La Rue) ponctuent aussi ce processus, ainsi que sa relation avec L.J. (Evelyne Rompré), l’autre survivante de l’accident, une danseuse nue qui a perdu ses jambes dans la tragédie et qui peine à attirer le regard sur son corps démembré.

Il y a donc, dans cette histoire de survie post-traumatique, une architecturation de récits qui posent des questions stimulantes. L’art peut-il être un agent de guérison? Quelle est la responsabilité éthique de l’artiste lorsqu’il aborde l’horreur?  L’art est-il utile quand il est massivement incompris par la population? Comment juguler l’angoisse de la dépossession de soi et affronter un monde qui offre peu de soutien aux éclopés?  L’esprit peut-il suffire à une vie digne, quand son enveloppe charnelle s’est étiolée? Peu à peu, la pièce évoluera vers une réflexion sur la valeur de la vie, flirtant de manière intimiste avec les débats sur le suicide assisté.

Mais toutes ces questions complexes, qui nécessitent une infinité de nuances pour se déployer convenablement, sont ici un peu plaquées, trop souvent exprimées par des dialogues rectilignes, qui disent les choses frontalement sans aménager les zones de gris dont ces thématiques ont besoin pour susciter chez le spectateur une véritable réflexion ou pour que naisse l’empathie.

Il faut dire que les personnages manquent de substance et qu’ils correspondent à des stéréotypes éculés. Danny est l’artiste torturé par un égo surdimensionné, incapable de réellement voir le monde qu’il tente de portraiturer, se vautrant dans une obsession narcissique de son propre trauma. L.J. est la danseuse nue en manque d’amour (ce que ses jambes amputées évoquent aussi dans une métaphore peu subtile). Le psychiatre est inapte à exercer son métier à cause de son propre trouble psychique et de sa manie de tomber amoureux de ses patients. Danny sera également confronté au regard de sa sœur Stéphanie (Dominique Laniel), une jeune fille invraisemblablement naïve qui permet au scénario d’expliquer les blessures d’enfance de l’artiste (rien d’autre que la psychopop désespérante) et de faire croiser les chemins de Daniel et de Karl (Mathieu Quesnel), le petit ami de Stéphanie, mâle alpha qui ne comprend rien à l’art. Partout, tout le temps, que des personnages caricaturaux.

Avec une telle matière, le metteur en scène Claude Desrosiers (qui fait ses premières armes au théâtre après avoir réalisé des séries télé) fait de son mieux mais n’évite pas un pathos qui fraie avec le ridicule dans certaines scènes-clé de la pièce (notamment chez le psychiatre), lesquelles sont jouées au pied de la lettre, dans une émotion surfaite. Et ce, même s’il a à sa disposition des acteurs de haut niveau (Denommée et Rompré).

Autrement, la pièce embrasse une narrativité hachurée, pour évoquer la collision, le choc des fragments dans le cerveau traumatisé de Danny. Pour y rendre justice, la mise en scène se veut cinématographique, la plupart du temps très fluide et très rythmée dans son traitement des multiples ellipses. Ce serait appréciable si les autres morceaux du casse-tête tenaient mieux en place.

À La Licorne jusqu’au 28 mars