Sylvain Bélanger / Chatroom : Mourir pour des idées
Scène

Sylvain Bélanger / Chatroom : Mourir pour des idées

Dans Chatroom, une production étudiante percutante sur l’anonymat du web et ses conséquences dans la vie d’une bande d’adolescents en quête de sens, Sylvain Bélanger explore la dramaturgie acclamée de l’auteur irlandais Enda Walsh.

Ils sont six adolescents dont les répliques se superposent sur une plate-forme de clavardage. Chatroom, comme de nombreuses pièces du moment, tente de donner une forme théâtrale aux incessantes communications virtuelles qui dominent aujourd’hui bon nombre des interactions. Invité à diriger cette pièce d’Enda Walsh avec des étudiants du Conservatoire (qui, une fois diplômés, ont remanié ce spectacle pour le présenter sur une scène professionnelle), Sylvain Bélanger précise que «l’enjeu n’est pas ici d’incarner la langue du web mais bien de décrypter le rôle qu’y joue l’anonymat des interlocuteurs, avec des conséquences parfois désastreuses».

«On a travaillé, poursuit-il, autour de l’idée que l’anonymat permet une grande liberté, qu’il permet de faire des choses folles, de sortir des cadres et d’outrepasser, souvent, ses propres limites. Mais ce qui est intéressant c’est que cet anonymat n’est pas utilisé de la même manière par tout le monde. Certains en abusent, alors que d’autres sont plus voyeurs et vont juste observer ce que font les autres. C’est intéressant d’un point de vue sociologique.»

Adressée à un public ado qui se reconnaîtra dans les petites manipulations et intimidations qui se développent au fil des dialogues entrecroisés, la pièce explore «les microcosmes de l’adolescence, dit le metteur en scène, et la manière rapide dont se développent des boucs émissaires et des faire-valoirs dans les conversations».

Crédit: Robert Etcheverry
Crédit: Robert Etcheverry

Suicide, sentiment de rejet, mais aussi recherche d’une mission, ou d’une cause à défendre jusqu’à l’absolutisme, sont au menu de ce ballet rythmé de conversations virtuelles. «L’un des personnages va devenir leur cause, leur symbole. Le groupe utilise la situation difficile de cet ado pour se définir et pour chercher à travers lui un souffle de vie – mais de manière très maladroite. Il y a du romantisme là-dedans, mais aussi une cruauté adolescente. Ces ados sont dans une forme de théorie – ils poussent à l’extrême un idéal qu’ils imaginent de manière strictement théorique. Le suicide va alors être perçu comme un grand geste, un grand message, disent-ils.»

Un peu comme dans la pièce à succès Norway.today, de l’Allemand Igor Bauersima, où le clavardage entre Juliette et Auguste se conclut dans la promesse de «se donner la mort dans un acte de couronnement de la vie», les personnages d’Enda Walsh pensent à la mort comme à un geste révolutionnaire, porteur de leur soif de grandeur et de vitalité.

«Le texte pose des questions intéressantes sur la valeur des idées, explique Sylvain Bélanger. Doit-on mourir pour des idées, sans égard aux conséquences de cette disparition de soi? Il y a chez eux une sorte de tyrannie de l’idée du suicide, issue d’un aveuglement idéologique un peu inconscient. C’est exploré de manière assez juste par Enda Walsh et ça fait écho à nombre de phénomènes contemporains : on peut penser au djihadisme, notamment, qui séduit les jeunes en quête d’absolu.»

Au Théâtre Denise-Pelletier du 4 au 21 mars