Richard III : Charmeur et tyran
Scène

Richard III : Charmeur et tyran

Spectacle à grand déploiement, le Richard III créé par Sibyllines présente le règne sinistre d’un homme cruel aux ambitions démesurées, évitant habilement les pièges d’une telle production. Brigitte Haentjens visite pour la première fois l’œuvre de Shakespeare et signe une mise en scène éclairante qui s’intéresse à la quête de pouvoir profondément narcissique d’un homme que rien ne semble pouvoir arrêter.

Dès les premiers instants, le public devient le confident, voire le complice de la folle quête de Richard III, dernier souverain britannique tué au combat. Sébastien Ricard est habité d’une fougue spectaculaire en interprétant cet homme vil au corps aussi tordu que l’est son esprit, rôdant comme une hyène à la recherche de nouvelles proies dans la grande scène dépouillée de la scénographie d’Anick la Bissonnière. Brigitte Haentjens en fait un personnage nuancé, malgré ses actions perverses et radicales; méprisant, brillant, malin et hypocrite, son Richard III a ce charme hypnotisant, malgré sa laideur, de convaincre ses pires ennemies et ses plus proches alliés du bienfait de toute action qui pourrait le mener vers le trône. Dans une langue et une diction savamment travaillée, Sébastien Ricard donne plusieurs facettes à l’homme au visage à deux faces, à la fois bête sans pitié, fin ensorceleur et être troublé finalement dépassé par la machine politique. Il mène ce rôle avec une intensité brute, en visitant tous les recoins de l’horreur humaine, porté par une énergie qui ne faiblit jamais en cours de route.

Sébastien Ricard (Richard III) et Sophie Desmarais (Lady Ann) / Crédit: Yves Renaud
Sébastien Ricard (Richard III) et Sophie Desmarais (Lady Ann) / Crédit: Yves Renaud

 

Une distribution de qualité marque ce spectacle où le mouvement et la gestuelle du corps priment et laissent place, quelques instants avant son commencement, aux étirements et échauffements d’un petit nombre de comédiens sur scène, l’événement théâtral se plaisant à rappeler que nous sommes bel et bien au théâtre. De cette production de vingt comédiens, Sylvie Drapeau et Louise Laprade, respectivement dans les rôles de la reine Élisabeth et de la duchesse de York, brillent dans la force et la douleur, toutes deux victimes des complots sordides de Richard III. Francis Ducharme, en Richmond, venu combattre l’armée du roi, est particulièrement efficace dans ce rôle très physique, où le combat final impressionne par son inventivité et sa chorégraphie flirtant avec la danse. Les magnifiques costumes conçus par Yso épousent les corps et sient parfaitement aux personnages, donnant même une certaine élégance au roi grotesque.

Sylvie Drapeau (Elisabeth) et Sébastien Ricard (Richard III) / Crédit: Yves Renaud
Sylvie Drapeau (Elisabeth) et Sébastien Ricard (Richard III) / Crédit: Yves Renaud

 

Brigitte Haentjens signe à nouveau une mise en scène brillante, puissante et époustouflante par sa justesse et son pouvoir d’évocation. La traduction de Jean Marc Dalpé joue sur quelques registres de langue, parfois un registre québécois populaire: voilà qui demeure un choix discutable dans un ensemble qui se colle pourtant dans sa quasi- entiereté au français normatif. Œuvre de jeunesse de Shakespeare, Richard III est pourtant loin d’être en décalage avec le monde actuel. Ce spectacle d’envergure ne manque pas de le rappeler et de nous glacer le sang à travers le délire narcissique d’un homme pour qui faire des victimes n’est qu’accessoire à son besoin de pouvoir.

 Au TNM jusqu’au 4 avril
Au Théâtre français du Centre national des arts, Ottawa, du 21 au 25 avril