(Very) gently crumbling : En route vers la post-humanité?
Scène

(Very) gently crumbling : En route vers la post-humanité?

Avec sa distribution toute féminine, le chorégraphe Jacques Poulin-Denis invente un monde post-apocalyptique édulcoré dans (Very) gently crumbling. Une danse précise mais un propos unidirectionnel.

Jacques Poulin-Denis aime se réinventer. S’il n’abandonne pas l’hybridité qui a toujours caractérisé son (ses) esthétique(s), faisant pencher la danse du côté d’une forte théâtralité, il offre avec (Very) gently crumbling une oeuvre bien différente de son précédent opus, La valeur des choses. À travers une danse plus formaliste et plus abstraite, dans un univers plastique plus léché, il mécanise et fait chuter les corps dans une chorégraphie de l’«écroulement» (selon ses propres dires), qui évoque à plus forte raison une forme de post-humanité.

Dans une scénographie blanche immaculée, uniquement striée par une structure gonflable jaune qui disparaîtra rapidement, les danseuses Caroline Gravel, Claudine Hébert, Anne-Marie Jourdenais et Katrine Patry apparaissent en uniformes aux lignes pures et se lancent dans leur partition individuelle sans jamais jeter un regard vers l’autre. Fable sur l’incommunicabilité? C’est à tout le moins dans un monde dénué de contact humain et même, dirait-on, de toute forme de ressenti, qu’évoluent ces personnages qui paraissent décalés de leur humanité à mesure que leurs gestuelles hachurées et désarticulées muteront vers une certaine mécanisation, ou même robotisation.

Crédit: Dominique T. Skoltz
Crédit: Dominique T. Skoltz

 

Dans cette étude, Poulin-Denis dit vouloir explorer «l’écroulement sous toutes ses formes». Il y a dans cette idée celle de la conscience de sa propre finitude, ou l’idée d’embrasser son propre déclin, de l’apprivoiser, de marcher vers la mort sans y résister, laissant son mouvement nous happer. Ces femmes sont peut-être, en effet, des corps en route vers l’abandon de la vie, à travers une désarticulation progressive de tous leurs membres. Mais c’est plutôt l’idée de la fin de l’humanité, ou plutôt de l’émergence d’une nouvelle race humaine mécanisée, post-apocalyptique, qui nous vient en tête. On se croirait un peu chez Aldous Huxley.

L’effet est accentué par le texte d’Etienne Lepage, récité par des voix de synthèse, qui évoque la disparition, l’écroulement, le dénuement de soi jusqu’à une intériorité pure mais également dénuée de sens commun et d’émotivité. Une humanité physiquement palpable, dont les mouvements précis et saccadés sont hypnotisants, mais une humanité inquiétante dans son étrangeté et son apparente vacuité intellectuelle et émotive.

L’univers est cohérent et maîtrisé, mais dans la répétition des boucles de texte et des séquences gestuelles, la chorégraphie n’évite pas une redite un peu stérile. Sans compter que la grande liberté de regard que ce spectacle accorde au spectateur – qui ne sait s’il doit s’inquiéter ou se réjouir de cette déroutante humanité – n’est pas à proprement parler féconde. Elle risque de nous faire sombrer dans le vide intellectuel davantage que dans la réflexion multicouches qu’elle semble vouloir provoquer.

Au Théâtre La Chapelle jusqu’au 25 avril