Lars Eidinger / Tartuffe / FTA : Délivrez-nous du mal
FTA 2015

Lars Eidinger / Tartuffe / FTA : Délivrez-nous du mal

C’est la première fois que Montréal reçoit Michael Thalheimer, l’un des metteurs en scène vedette de l’influente scène berlinoise. L’acteur Lars Eidinger interprète sous sa gouverne un Tartuffe sexy et puissant, dans un spectacle stylisé qui interroge le retour du religieux en Occident.

Tartuffe est une rockstar dans cette mise en scène, dit-on. Cheveux longs, torse nu, le corps couvert de tatouages bibliques et engagé dans un jeu très physique, le comédien Lars Eidinger évolue dans un autre registre que celui, plus réaliste, auquel il s’adonne auprès de son autre grand maître, Thomas Ostermeier.

«C’est peut-être un Tartuffe rock, consent-il, mais je dirais que c’est plutôt une représentation de Tartuffe en homme christique; une évocation de l’image canonique du prophète. Ce sont les rockstars qui ont puisé dans cette imagerie messianique pour construire leur look, pas le contraire. Notre regard sur Tartuffe va ainsi jusqu’aux sources de son intérêt pour la religion, jusqu’aux origines de la figure du Christ et jusqu’aux fondements de sa parole, intégrant des passages de l’Ancien Testament.»

Franz Hartwig, Luise Wolfram, Kay Bartholomäus Schulze, Lars Eidinger, Tilman Strauß et Regine Zimmermann dans Tartuffe / Crédit: Katrin Ribbe
Franz Hartwig, Luise Wolfram, Kay Bartholomäus Schulze, Lars Eidinger, Tilman Strauß et Regine Zimmermann dans Tartuffe / Crédit: Katrin Ribbe

 

Relecture radicale s’il en est une, cette version de Tartuffe créée à la Schaubühne s’affranchit complètement de son ton comique, creusant plutôt le sous-texte pour en interroger les différents rapports au religieux et à ses manifestations à travers des figures charismatiques. «Nous ne sommes pas intéressés par l’humour de Molière, rigole Lars Eidinger. Ce qui est un peu une provocation. Mais c’est surtout la meilleure manière de fournir une nouvelle lecture, une nouvelle interprétation de cette pièce canonique, en se concentrant sur ses idées, sur la véritable pensée qui s’agite en arrière-plan du comique de surface. La pièce est aussi observée à un rythme plus lent. Nous avons tout ralenti et mis la pièce en suspension pour la laisser vraiment déployer son intelligence, sa pensée, son propos fondamental. C’est également un désir de musicaliser la pièce, d’en faire une longue ballade au lieu d’une pièce de speed métal!»

Quiconque est un peu observateur de notre monde saura tisser des liens entre la manière dont le dévot Tartuffe entre chez Orgon et la manière dont les religions se réinvitent dans un Occident déconfessionnalisé mais multiethnique et ouvert à des percées de l’islam (notamment). La pièce critique les intégrismes religieux qui inquiètent les laïques de ce monde, mais attention, nuance: la dévotion de Tartuffe n’y est pas unilatéralement rabrouée. Au contraire, pense Eidinger, «Tartuffe est un homme qui a la foi et dont la pensée est honnête. Contrairement à Molière, nous ne le diabolisons pas».

«Notre Tartuffe, poursuit-il, est sexy, séduisant et sympathique. Il l’est de manière tout à fait sincère. Si la famille se laisse prendre dans ses filets, c’est qu’il est aimable et honnête. Nous prenons ainsi un peu le camp de Madame Pernelle, qui affirme que la meilleure chose qu’ait faite son fils est de laisser Tartuffe entrer dans sa maison. Peut-être que c’est Tartuffe qui est le plus proche de la vérité – sa vision du monde est plus honnête que celle de la famille un peu viciée qu’on a devant nous, laquelle représente une société pervertie, pourrie.»

Néanmoins, son influence grandissante sur le cercle d’Orgon et d’Elmire incitera à une certaine circonspection. «Il faut évidemment se méfier de tout fanatisme, de tout extrémisme et de tout sectarisme. Mais la parole fondamentalement humaniste de Tartuffe, qui est celle qu’on retrouve dans la Bible, est vraiment observée patiemment et avec une grande honnêteté intellectuelle dans ce spectacle.»

Porteur de la parole d’un Dieu «plus rationnel que celui qu’on connaît», donc «plus proche du Dieu dépeint dans l’Ancien Testament», ce Tartuffe est aussi comparable, selon Eidinger, au jeune et séduisant personnage du Théorème de Pasolini, un «Dieu-amour», une irruption de l’«authentique» dans des vies qui en sont dépourvues. 

Du 22 au 24 mai au Monument-National, dans le cadre du FTA.
En allemand avec surtitres français et anglais.