Frédéric Dubois, Olivier Normand / Vinci : Archéologues du théâtre lepagien
Rentrée culturelle automne 2015

Frédéric Dubois, Olivier Normand / Vinci : Archéologues du théâtre lepagien

L’histoire de l’œuvre est probablement aussi riche (voire plus) que celle qu’elle raconte en tant que tel. Cet automne, le Théâtre Périscope de Québec  se fait producteur et dépoussière un texte retrouvé dans un tiroir d’Ex Machina. Une pièce presque oubliée, mais tellement charnière de l’ère pré-Internet.

Vinci raconte un voyage transatlantique et presque initiatique, la fuite d’un dénommé Philippe dans les vieux pays. C’est Olivier Normand qui redonne vie à ce personnage joué par Robert Lepage pour la dernière fois en 1986. « C’est un photographe qui fait une expo et ça marche pas vraiment. Il se fait démolir par les critiques. On s’est entendus qu’il était pas si jeune, il a peut-être mon âge [NDLR : dans la trentaine], dans le sens qu’il a fait une carrière, mais ça lève pas trop. »

Comme dans Les Aiguilles et l’opium, présenté en ouverture de la saison 2013-2014 du Trident, le héros monologuiste s’exile ailleurs dans le monde pour faire passer la peine en découvrant (du même coup!) la pensée d’artistes inspirants d’une époque passée.

Dans le cas qui nous concerne, la perte d’un mentor suicidé remplace la rupture, Léonard de Vinci supplante Jean Cocteau et Miles Davis. Frédéric Dubois, metteur en scène de cette deuxième mouture, se fait analyste. Faut l’écrire : une longue recherche de pratiquement un an a précédé cette relecture. « Toute l’œuvre de Robert c’est ça, regarde juste La face cachée de la Lune. C’est accroché au deuil et à l’effondrement et à la reconstruction, la renaissance. Avec Vinci, c’était la première fois qu’un Québécois faisait intervenir l’histoire de l’humanité avec nos histoires à nous. Après Vie et mort du roi boiteux de Ronfard, c’est sûr.»

Robert Lepage dans Vinci en 1986 (Crédit: Claudel Huot)
Robert Lepage dans Vinci en 1986 (Crédit: Claudel Huot)
Il était une fois l’Implanthéâtre

Le Périscope (initialement baptisé l’Implanthéâtre) fête ses 30 automnes en septembre 2015, un anniversaire souligné par cette reprise de l’œuvre de jeunesse de Robert Lepage présentée au cours de la saison inaugurale. Dans le temps où ce bâtiment-là était encore, et officiellement, une synagogue. « La première année du théâtre, le rabbin habitait encore là », raconte Dubois. « Les comédiens jouaient et répétaient et lui, il habitait en bas. »

Les plus observateurs ont sans doute déjà remarqué les inscriptions en caractères hébraïques sur la façade du côté de la rue Crémazie. Les traces d’un passé pas si lointain puisque le chantier de ce temple juif-là avait été incendié par des militants antisémites en 1944 puis complété en 1951.

 

Lepage avant Londres, New York et Peter Gabriel

Vinci a été créé au Théâtre de Quat’Sous de Montréal quand Robert Lepage avait 28 ans et un titre de joueur étoile dans la LNI. Il reste encore des traces de ça sur Youtube et Olivier Normand ne tarit pas d’éloges à l’endroit de l’acteur. « La plus grande improvisation de l’histoire de la LNI a été faite par lui. Ça s’appelle New York, New York, c’est neuf minutes. C’est excellent encore aujourd’hui, mais pour l’époque, on n’avait jamais vu un mode de narration comme ça. »

Frédéric Dubois en rajoute : « En neuf minutes, il a changé l’histoire de la narration et de l’improvisation. […] Il aurait pu décider de devenir une p’tite vedette, on lui offrait de faire de la pub. En fait, il a décidé de prendre une voie plus personnelle. »

N’empêche : l’improvisation habite encore le créateur qui ne couche rien sur papier au préalable, avant d’entrer en répétition avec ses interprètes. Oliver est l’un de ceux-là et peut témoigner. « C’est comme dans Cœur [NDLR : une pièce de la série Jeux de cartes qui a notamment été présentée en janvier 2014 à la Tohu]. On l’a toute faite en impro, tout le spectacle, toutes les scènes. Moi j’avais pas de texte. »

Pierre Philippe Guay (Crédit: Marie-Pierre Guay)
Pierre Philippe Guay (Crédit: Marie-Pierre Guay)

Le mode de production était identique pour Vinci. Le hic, c’est que les souvenirs ont une date de péremption. Frédéric Dubois a donc dû travailler à partir d’un simple verbatim, la retranscription d’une vidéo amateur de l’époque qui existe d’ailleurs encore. « Ce qu’on a, ç’a été fait par des universitaires qui ont voulu faire une recherche sur l’œuvre de Robert. […] On sait même pas qui a fait ça, ça devait être dans les années 90. Les gens d’Ex Machina ont trouvé ça dans un tiroir. »

Le directeur artistique du Périscope a donc dû se débrouiller sans didascalies. « Y’a rien, rien, rien. Tellement qu’on a rencontré Robert parce qu’il tenait à nous faire une genèse de ce spectacle-là pour nous expliquer comment ça s’était présenté dans sa vie, comment il en était venu à faire ce spectacle-là. On a tellement compris de choses! »

Heureusement, la légende vivante (on ne pèse pas nos mots) a « une mémoire assez phénoménale » et l’équipe de la mouture 2.0 travaille avec Pierre Philippe Guay qui était l’assistant de M. Lepage à l’époque.

 

« Je ne suis pas Robert Lepage, moi. »

Quand on le questionne sur la scénographie du spectacle, la réponse de Frédéric est sans équivoque. « On n’a vraiment, vraiment, vraiment pas le budget d’Ex Machina.  […] Je peux pas faire un décor technologique, j’ai jamais fait ça. Si je monte du Michel Tremblay, je ne peux pas être André Brassard. »

Marie-Renée Bourget Harvey (La chatte sur un toit brûlant, Changing Room) a donc construit un espace essentiellement composé de miroirs et de panneaux de plexiglas. Quelque chose de minimaliste et transformable qui prend sa forme avec les éclairages de Caroline Ross, une fille du 418 qui a notamment travaillé sur l’expo itinérante et mondiale Star Wars Identities.

Malgré le défi et le risque que comporte pareille reprise sans grands moyens financiers, Frédéric se montre positif. Presque gonflé à bloc même s’il avoue qu’un certain vertige l’a pris au début du projet. « On le sait qu’on est pas en train de décalisser son travail. Au contraire, moi je pense qu’on est très respectueux, on a beaucoup d’amour pour cette histoire-là. On l’a découvre, elle nous révèle des choses. »

 

En tournée dans les couronnes montréalaises du 30 septembre au 28 novembre:

Théâtre de la Ville, Longueuil: 30 septembre, 1er et 2 octobre, 20h
Maison des arts de Laval: 3 octobre, 20h
Théâtre Hector-Charland, L’Assomption: 6 octobre, 21h
Salle Pauline-Julien, Ste-Geneviève: 7 octobre, 20h
Théâtre des Deux-Rives, St-Jean-sur-Richelieu: 29 octobre, 19h30 et 5 décembre, 20h
Salle Albert-Dumouchel, Salaberry-de-Valleyfield: 28 novembre, 20h

 

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