Moby Dick : Propos à la dérive…
Scène

Moby Dick : Propos à la dérive…

La mise en scène de Moby Dick par Dominic Champagne éblouit par ses scènes qui illustrent de façon ingénieuse la supériorité illusoire de l’Homme sur la nature, grâce notamment à la superbe scénographie de Michel Crête, mais enlève un certain intérêt aux dialogues, victimes d’une surabondance d’action et d’effets spectaculaires.

L’adaptation de Bryan Perro du célèbre roman d’Herman Melville présente le jeune Ishmaël (Steve Gagnon), désireux de découvrir le monde, qui rejoint naïvement l’équipe du navire Péquod. Dès sa rencontre avec le capitaine Achab (Normand D’Amour), il découvre que la mission de l’homme obscur ne se limite pas à chasser la baleine pour obtenir son huile; Achab veut trouver et éliminer Moby Dick, un énorme cachalot qui l’a estropié.

La scénographie exceptionnelle de Michel Crête capte toute l’ampleur de la mégalomanie du capitaine et de l’affront entre la baleine et l’équipage. L’immense décor qui représente la proue du bateau et pivote pour devenir une gigantesque falaise frôle les installations scéniques du Cirque du Soleil qui sont, évidemment, très familières à Crête et Champagne. Les scènes mouvementées – les marins sur les baleiniers, la transformation des restes de baleine en huile, pour ne nommer que celles-là – rendent véritablement hommage à Melville et à son oeuvre.

Le capitaine Achab (Normand D'Amour) en plein harponnage / Crédit: Yves Renaud
Le capitaine Achab (Normand D’Amour) en plein harponnage / Crédit: Yves Renaud

 

Si la très intense scénographie impressionne par sa mise en scène de tempêtes et chasse en mer, orages et autres intempéries, elle fait ombre au récit et le Moby Dick de Dominic Champagne devient un spectacle de grande envergure où le propos est avalé par une quantité phénoménale d’effets. Certes, le combat entre l’Homme et la nature s’impose avec brio, mais on en oublie les échanges entre les marins et les nombreux monologues du capitaine. Ils apparaissent malheureusement ternes suivant les grandes scènes d’action. Si les préoccupations environnementales du metteur en scène et la course sans morale aux richesses naturelles sont évidentes, elles se résument bien rapidement en quelques phrases à la toute fin.

Dominic Champagne a fait appel à Frédérike Simard et à sa voix sublime pour accompagner la musique créée par Ludovic Bonnier. L’énergique trame sonore qui ponctue la quête meurtrière des marins, se transforme continuellement au fil de l’action, aidée de différents instruments est bien menée par les musiciens sur scène. C’est donc dans un mélange de musique ambiante aux multiples sonorités, folklorique et rock que la musique créé la poésie de cette incomparable expédition vengeresse. On y imagine sans difficulté la vie en mer qu’a imaginé (et vécu) Herman Melville. Cette trame sonore, très réussie, est d’ailleurs disponible sous l’étiquette Analekta.

Crédit: Yves Renaud
Crédit: Yves Renaud

 

David Savard, dans le rôle de Starbuck, amène une touche d’humanité dans ce qui demeure un ensemble un peu trop figé. Seul personnage à tenter de raisonner le capitaine, il n’aura d’autre choix que de suivre l’équipage dans une mission qu’il juge, à raison, périlleuse et irrationnelle. Steve Gagnon est juste en Ishmaël, dosant entre la candeur d’un jeune homme curieux et une vive lucidité face à la mission du capitaine. Jean-François Casabonne, pour sa part, détonne merveilleusement bien en Queequeg, dans un jeu physique et énigmatique qui captive.

Le rôle du dit capitaine semble tout indiqué pour Normand d’Amour; solide, tourmenté, entêté, animé par la vengeance et la rancoeur, son Achab mène bien le récit et offre un rôle magnifique pour le comédien. Ses monologues auront toutefois été quelque peu éclipsés par l’ambitieuse, peut-être trop ambitieuse mise en scène de la pièce.

 

Au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 21 octobre