Société

Droit de cité : Montréal tectonique

Une île, trois villes? C’est ce que proposera la Commission sur la réforme de la fiscalité pour résoudre les problèmes d’intendance de la région de Montréal, dans environ deux semaines.

L’île de Montréal, divisée actuellement en trente et quelques duchés, n’en compterait plus que trois: un à gauche, un à droite, et un au milieu, en plus d’étendre la Communauté urbaine à Laval et à la Rive-Sud.

Attendez-vous à des pleurs. Ou plutôt: ne vous attendez à rien. Les larmes de la banlieue ont déjà coulé, quand La Presse a évoqué les cogitations de la Commission sur l’avenir de Montréal, il y a deux semaines. De vrais érables. Un peu plus, et les banlieusards faisaient la comparaison avec le Kosovo.

C’est que Madame la duchesse ne veut pas sourire à celui qui lui enlèvera ses prérogatives royales, c’est-à-dire l’argent de ses taxes.

Voyez-vous, la municipalité de banlieue est un vase clos dans lequel s’enferment des gens de classes sociales semblables, afin de faire circuler en circuit fermé leurs millions en taxes foncières.

Laval-en-Montréal, ou Montréal-en-Laval?
Un tas de questions des plus fascinantes suivront le dépôt du rapport: Doit-on plutôt favoriser le modèle du rapport Pichette? Faut-il réorganiser les pouvoirs entre les différents vecteurs de développement économique à deux paliers sans paradigme, et dont les MRC et la CUM seraient le pivot décisionnel pour une légitimité politique accrue et une efficacité structurelle bonifiée?

Bonnes questions, mais je n’en ai aucune espèce d’idée. Et comme dirait un certain Cynique, on s’en contre-saint-ciboirise. Parce que peu importe la structurite aiguë qui afflige la région métropolitaine, nous savons tous que Laval est Laval parce qu’il y a Montréal; parce que Laval, au fond, c’est Montréal, et non pas Laval. C’est clair, non?

Bon, pour les gens de Laval qui n’auraient pas saisi, un peu d’histoire. Il y a trente ans, Laval n’était qu’un rêve sur croquis, un plan, une maquette. Un beau rêve, cela dit, pour les urbanistes: celui de créer leur propre ville. C’est comme si on me proposait de créer mon propre magazine. Ainsi, d’une demi-douzaine de petites paroisses rurales, ils ont créé une cité qui bientôt comptera plus d’habitants que le Nouveau-Brunswick.

Mais cette réussite ne tient qu’au fait que Laval est située dans la cour arrière de Montréal. Aurait-on transplanté le rêve quelque part entre Shawinigan et La Tuque, qu’il serait demeuré une maquette, ou un projet domiciliaire raté saisi par la banque.

Le «modèle» d’Atlanta
À écouter les maires de la banlieue, les frontières municipales ne sont pas de simples lignes tirées arbitrairement sur des planches à dessin de cartographes: elles seraient le résultat des forces colossales de la dérive des continents, celles qui ont échancré des fossés tectoniques, humainement irréconciliables malgré tout le génie dont est capable l’Homme. Tenter de les éliminer équivaut à s’attaquer à plus puissant que soi.

Pas besoin de fusions ou de régionalisation, donc. Ils en veulent pour preuve la réussite économique d’Atlanta, véritable cité tissée d’innombrables municipalités, comme une courtepointe.

Or, pas sûr qu’Atlanta soit un exemple de développement urbain, avec un centre comme no man’s land pour les galeux; et la rase campagne tout autour pour les contribuables, là où le bungalow et son inséparable Club Prix poussent à soixante kilomètres à la ronde.

Mais il y a du vrai dans leur affirmation. Ce n’est pas parce que son centre a été vidé de ses habitants et de son argent que la région métropolitaine d’Atlanta s’est empêchée de prospérer, et même d’obtenir le statut olympique.

Sauf que le succès économique d’Atlanta n’a rien à voir avec son urbanisation en courtepointe, mais plutôt avec son ambition d’être le nombril de l’Amérique. Ce qui sied bien à une ville qui tire son nom d’Atlas-prétendant-supporter-le-ciel sur ses épaules, selon la mythologie grecque.
Avec la complicité de l’État de la Géorgie, Atlanta s’est donné les moyens de ses ambitions. D’abord, par une stratégie de développement industriel réaliste. Mais aussi _ et surtout _ par la réussite scolaire de ses petits résidants. Aujourd’hui, Atlanta est l’une des villes les plus scolarisées des USA, grâce à un programme de gratuité scolaire qui paie entièrement les frais d’études collégiales et universitaires à tous ceux qui travaillent fort à l’école, riches comme pauvres.

Quand cela s’est su, les appels d’entrepreneurs et d’investisseurs ont afflué au bureau du gouverneur de l’État. «Il y a un intérêt accru des entreprises pour la région, m’avait déjà confié le porte-parole du gouverneur de la Géorgie. Les investissements se multiplient et les demandes d’information de la part des entreprises sont plus nombreuses que jamais. Pour elles, savoir qu’il y aura ici une population plus scolarisée, cela signifie une main-d’ouvre qualifiée qui ne manquera pas.»

À Montréal, un gros tiers n’arrive même pas à compléter son secondaire V. Alors, fusion, pas fusion, dix structures de moins ou dix de plus, ça ne changera rien à cette réalité.

Donner l’exemple
Ceci dit, il n’y a pas que l’Île de Montréal qui doive mettre de l’ordre dans sa bureaucratie. Québec itou devrait sortir le balai.

Actuellement, la région métropolitaine s’étend sur cinq régions administratives: Laurentides et Lanaudière pour la couronne nord, Laval, Montréal, et la Montérégie pour la Rive-Sud. Ça donne de belles absurdités _ comme Mirabel, qui n’est pas un aéroport de la région de Montréal, mais un aéroport de la région de Mont-Laurier!
À Québec aussi de faire son petit ménage…