Société

La prostitution des mineurs : Chair fraîche

Dans quelques jours, le Comité montréalais sur la prostitution de rue remettra son rapport au comité exécutif de la Ville. Mais on n’y traitera pas de la prostitution des mineurs. Pourtant, le phénomène fleurit, et se porte très bien, merci.

Deux ans après sa création, le Comité montréalais sur la prostitution de rue remettra, dans quelques jours, son rapport au comité exécutif de la Ville. À l’origine, celui-ci devait englober la réalité des mineurs prostitués, mais en cours de route, il a été décidé que cette problématique devrait être traitée séparément. Serge Bruno, coordonnateur du comité, affirme qu’il faut absolument revenir sur cette question, mais laisse au comité exécutif le soin de décider à quel moment et sous quelle forme il le fera.

En attendant, le Projet d’Intervention Auprès des Mineurs Prostitués (PIAMP) et le Projet Prostitution Masculine de Séro-Zéro ne chôment pas. Les jeunes non plus… Nous en avons rencontré deux pour en savoir un peu plus.
Olivier, vingt et un ans, a commencé sa «carrière» à quinze ans. «Dans le temps, dit-il, j’étais un petit punk et je quêtais des vingt-cinq sous. Un homme en veston-cravate d’environ cinquante ans s’est arrêté et m’a dit qu’il me payerait bien si je le suivais. Sur le coup, je lui ai dit de laisser faire, même si j’avais le goût. Je voulais pas que mes amis me voient partir avec lui. Mais un peu plus tard, je suis allé le rejoindre et je lui ai dit que c’était O.K. J’avais besoin d’argent.»

Bien qu’il ne se soit pas tout de suite lancé dans la prostitution à temps plein, Olivier avait un sugar daddy à dix-huit ans. «Il avait trente ans et me payait tout ce que je voulais. Ça a duré un an, on s’est séparés, puis on est revenus ensemble un autre six mois. Mais quand il y avait d’autres occasions d’avoir des clients, je ne disais pas non.»
Jean, que nous avons rencontré dans un club de danseurs nus, a débuté dans les métiers du sexe par la danse. «J’ai commencé à quinze ans en mentant sur mon âge. Je suis très exhibitionniste. Ça m’arrive de temps en temps de coucher avec un client, mais je préfère jouer dans des films pornos.» À vingt et un ans, Jean a dansé à Montréal, à Vancouver et à Toronto, et est allé tourner des films pornos aux États-Unis. Pour lui, c’est une profession.
«Je suis un peu tanné d’entendre le monde me dire que je fais pitié. Je suis escorte parce que je le veux! C’est probablement ça qui m’a sauvé de la pauvreté. La seule chose que je déteste, c’est faire la rue. Mais au début, t’as pas le choix, il faut que tu te fasses un nom, c’est comme dans n’importe quel autre domaine… Mais ce n’est pas drôle. Un pâtissier non plus n’aimerait pas ça, avoir à s’installer sur un coin de rue pour vendre ses tartes!»
Aujourd’hui, Olivier a sa carte d’affaires et des clients réguliers. Mais il fait quand même attention. «Je n’ai jamais eu de MTS et même si je prends un joint de temps en temps, c’est jamais pendant le travail. Pour l’alcool, quand un client m’en offre, je ne finis jamais le verre.»

La rue et les agences
Ce que vivent ces deux jeunes est assez semblable à ce que le PIAMP et Séro-Zéro observent sur le terrain. Comme l’explique Jacques Moïse, du PIAMP: «Les jeunes commencent à se prostituer pour plusieurs raisons. Parce qu’ils ont fait une fugue et qu’ils doivent se débrouiller; parce qu’ils veulent de l’argent soit disant facile; parce qu’ils se questionnent sur leur orientation sexuelle; parce qu’ils ont été rejetés par leurs parents; et parce qu’ils veulent de l’affection, de l’amour et même du pouvoir…»

À Séro-Zéro, Steve Thibeault croit que derrière toutes ces raisons, une seule domine. «C’est toujours le besoin d’argent qui les amène à considérer la prostitution. Ils se disent que c’est la seule chose qu’ils peuvent faire facilement sans diplôme. La situation de l’emploi chez les jeunes est très difficile!»

Si les deux organismes ne partagent pas tout-à-fait la même vision des choses, c’est peut-être parce que leurs clientèles sont différentes. Le PIAMP s’occupe principalement des jeunes masseurs, danseurs et escortes; tandis que Séro-Zéro travaille beaucoup avec ceux qui de la rue. En caricaturant un peu, on peut dire que les premiers sont plus nombreux à être travailleurs du sexe par choix, qu’ils souffrent moins du «métier» et qu’ils veulent y rester; contrairement aux jeunes qui font la rue, issus de milieux beaucoup plus difficiles et qui ont plus de problèmes.
«De 10 à 15 % des jeunes que nous rencontrons vont à l’école et ils ne sont pas plus nombreux à consommer de la drogue que chez les autres jeunes du même âge», dit Jacques Moïse. À Séro-Zéro, ceux qui vont à l’école sont très rares, et on estime que 50 % d’entre eux consomment…

Un tiers des profits
Pour Olivier et Jean, la rue, c’est fini. Pourquoi se geler sur un coin de rue quand un téléphone cellulaire peut faire l’affaire? «La rue, c’est pour ceux qui ont besoin d’argent rapidement, explique Olivier. Mais de toute façon, ça ne marche plus. Il y a des gars qui attendent cinq heures pour un client, tout ça pour vingt ou trente dollars! Moi, j’ai déjà fonctionné avec des annonces dans les quotidiens, mais tu n’as pas de protection, c’est pas tellement payant et le téléphone sonne toujours. C’est fatigant! Maintenant, je suis dans une agence. La plupart des agences attirent des gars à problèmes et tu dois coucher avec le boss pour être choisi, mais j’ai trouvé une agence correcte qui n’accepte pas les drogués et qui me respecte. En gros, pour une heure, c’est cent quarante dollars. Cinquante pour moi, vingt pour le chauffeur qui assure mon transport et ma protection, et le reste pour l’agence.» Olivier estime faire un salaire annuel de vingt-deux mille dollars.

De son côté, Jean préfère jouer dans des films pornos, une activité très payante, selon ses dires. «Et tu ne baises pas avec n’importe qui. Dans mon dernier film, j’ai couché avec un des plus beaux gars de l’industrie!»

Olivier ne se plaint pas non plus de ses clients. «J’ai régulièrement des jeunes dans la vingtaine, mais en général, ça va de trente à soixante ans. Quand ils ne sont pas beaux, c’est simple, je me branche sur mes plaisirs. Le gars paye pour un service, alors il faut le lui offrir!»

Les femmes clientes sont très rares, mais Olivier les prendrait sans problème. «L’agence pourrait me faire entrer en contact avec des femmes. Ce sont surtout des femmes de l’extérieur qui accompagnent leur mari en congrès.» Pour ce qui est des hommes, «ils sont souvent mariés ou pères de famille. J’ai plus de clients qui se disent hétérosexuels que gais… Mais ce n’est pas le genre de conversation que tu as avec eux. En général, ils veulent s’oublier un peu. Au prix qu’ils payent, ils veulent que ce soit toi qui parles! Ça n’empêche pas d’en apprendre de bonnes: j’ai eu des clients policiers, avocats et même des journalistes!»

Songent-ils parfois à arrêter? «Ça m’a pris tellement de temps pour apprendre à bien faire mon métier, dit Olivier, que tant que je vais pouvoir y rester, j’y serai! Pour le moment, tout ce que je veux, c’est m’installer et bien vivre. Meubler mon appartement, régler mes dettes avec Bell et Hydro, et peut-être retourner à l’école pour la fierté de terminer mon secondaire V.» Pour Jean, c’est plus simple: il continue de pratiquer le plus vieux métier du monde pour voyager, avoir du fun et «profiter» de sa jeunesse…

À Montréal, on trouve une centaine de garçons mineurs prostitués. En 1979, un quotidien montréalais affirmait qu’il y avait cinq mille jeunes hommes qui s’y adonnaient. Même si le chiffre est nettement exagéré, la question de la prostitution chez les mineurs n’en reste pas moins importante et méconnue. L’administration montréalaise osera-t-elle lever le voile sur cette réalité? C’est ce que nous verrons d’ici un mois.